[Tribune] G5 Sahel : clore une « parenthèse géopolitique » et préparer l'avenir
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[Tribune] G5 Sahel : clore une « parenthèse géopolitique » et préparer l’avenir

En quittant le G5 Sahel le 29 novembre 2023, le Burkina Faso et le Niger ont durablement modifié la géopolitique de notre région. Mûrement réfléchie, cette inflexion diplomatique s’inscrit dans la continuité de la décision malienne du 15 mai 2022.

Manifestement, l’alliance politique et militaire ne correspondait plus aux intérêts de la majorité de ses États membres. Entre 2014 et 2023, le monde a considérablement changé – y compris l’Afrique saharo-sahélienne. Quels éléments saillants retenir de la décennie passée? Le primat de la force ne peut remplacer l’exercice d’une saine politique. Mieux dirigé, le Mali aurait sans doute pu gérer l’instabilité survenue dans le nord du pays sans offrir la possibilité à l’armée française de convertir une demande d’appui aérien ponctuel en une expédition militaire « envahissante ». Les « succès » tactiques ne se convertissent pas en victoire stratégique.

Faire contre mauvaise fortune bon cœur 

En dépit de la propagande (essentiellement française), nombre de dirigeants des pays du G5 Sahel n’ont jamais été enchantés par une organisation dont le pilotage leur échappait partiellement. C’est pourquoi cinq Chefs d’État surent tirer parti des opportunités de rencontres que leur offraient des sommets réguliers pour se concerter. Similitude de défis, même(s) partenaire(s) et affinités primaient – mais ne suffisaient pas pour créer une institution disposant des ressources humaines, politiques et financières requises pour changer la donne. Il suffit d’un allié encombrant pour neutraliser une coalition.

Par la ruse, les promesses (sans lendemain), une diplomatie publique offensive et la manipulation, la France a mené une « stratégie de la distraction permanente » – annihilant l’efficacité de la coopération entre des États confrontés à des défis d’une ampleur sans précédent. « Qui trop embrasse mal étreint ». Mue par des intérêts stratégiques non assumés, menant une politique (parfois) incohérente, cachant (à grand peine) la modestie de ses moyens, la France a voulu imposer son leadership à l’Afrique et l’Europe – sans pouvoir se passer de l’appui américain ni répondre aux attentes des États saharo-sahéliens. Se méfier de slogans comme la « lutte contre la terreur ». Ce mot d’ordre s’est traduit en « guerre contre la stabilité ».

Compter sur soi et ne jamais oublier ses intérêts légitimes

Les sommes considérables dépensées par nos États ont enrichi les marchands d’armes, accru la violence et donné aux forces de défense une importance sans précédent … qui a conduit à la suspension de l’ordre républicain dans plusieurs pays. La décennie passée a révélé l’inefficacité de mécanismes maintenant nos États et nos sociétés dans une dépendance humiliante. Les intérêts du Burkina Faso, du Mali et du Niger ne sont pas servis par le G5 Sahel. Leur retrait est logique, conforme aux règles de la diplomatie et dépourvu de caractère inamical à l’endroit de la Mauritanie et du Tchad.

Puisque nous vivons notre seconde accession à l’indépendance, il convient de rester vigilants, rigoureux et exigeants. Le départ d’un « partenaire » toxique ne doit pas s’accompagner de l’arrivée d’autres États disposant d’une influence indue sur le cours de nos destinées. Plutôt que de céder aux sirènes de l’industrie du développement et/ou de servir de caution pour financer les « opérateurs » de la « lutte contre la pauvreté » ou « l’action humanitaire », il va falloir assumer notre leadership intellectuel. Accepter que notre « lutte contre la terreur » n’est rien d’autre qu’une guerre civile qui sape la reconstruction de nos pays.

Renoncer à la xénophobie d’État qui transforme d’honnêtes concitoyens en « jihadistes » ou « terroristes ». Se désintoxiquer de la propagande sournoise qui a créé un supposé « extrémisme violent », alors que l’instabilité résulte de causes sociopolitiques … N’accorder aucun crédit à la légende d’un progrès du « terrorisme » vers le Golfe de Guinée. C’est, probablement, un nouvel épisode de la « stratégie de distraction permanente », qui épuise les ressources de nos États et les détourne des enjeux répondant aux aspirations de leurs peuples.

Cesser d’écouter les jérémiades d’États qui organisent le tourisme de leurs ressortissants à travers le monde, volent nos cerveaux, emploient à vil prix certains de nos ressortissants … et refusent de concevoir une politique de mobilité internationale responsable et efficace – alors que leurs populations vieillissantes ont un besoin croissant de main-d’œuvre. Assigner à la nouvelle « religion » laïque de l’environnement la place qui lui convient : celle d’un sujet important qui n’a jamais cessé de préoccuper nos aïeux et nos compatriotes agriculteurs, pêcheurs et pasteurs ; celle d’une priorité diplomatique qui ne pourra éclipser nos besoins en énergie, infrastructures et investissements structurants … afin de rattraper le retard légué par deux à trois générations d’occupation militaire française. Il faudra beaucoup de clairvoyance, de lucidité et de courage pour remiser les concepts creux, les actions insensées et les priorités erronées conçues à des milliers de kilomètres … pour nous.

Enfin, nous devons créer les conditions pour qu’émerge une offre politique renouvelée. Qui soit plus endogène, ancrée dans nos réalités et soucieuse de justice, de création de valeur partagée et d’efficacité. Le temps des élections reviendra. Tâchons de nous préparer afin de tirer les leçons de cette « décennie perdue » – et réaliser le fabuleux potentiel d’un Sahel qui est pauvre pour ses enfants car très rentable pour ceux des autres.


  • Alpha Nouhoun Taïrou est analyste indépendant.

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