[Tribune] La France expose l’Europe à un gros risque
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[Tribune] La France expose l’Europe à un gros risque

En perte d’influence sur le continent, la France expérimente des stratégies nouvelles pour tenter de rebondir. Les pays affaiblis par des crises sécuritaire et politique, comme le Mali, sont des proies faciles à croquer face auxquelles elle montre les muscles pour faire peur aux autres. Le risque de ses récentes décisions est grand pour la France et pour toute l’Europe.

La pression diplomatique de la France sur le Mali n’a jamais été aussi pressante. Cet « acharnement » cacherait un réel malaise qui se murmure dans les chancelleries occidentales et africaines : celui de la perte progressive de l’influence française et de l’inefficacité de son intervention dans le Sahel. Il prouve également, à suffisance, les risques énormes auxquels le pays d’Emmanuel Macron est prêt à s’exposer et, par ricochet, l’Europe toute entière pour tenter de rester le seul maître du jeu. Cela au risque de fouler au pied ce qui est considéré aujourd’hui comme la règle de base en diplomatie mondiale : l’alignement des partenaires bilatéraux et multilatéraux sur les décisions et politiques des organisations communautaires et régionales.

En effet, en suspendant le Mali de leurs instances de prise de décision, la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cédéao) et l’Union africaine ont explicitement invité tous les partenaires à continuer de soutenir le Mali et la transition. Tout en exigeant, dans les meilleurs délais, la nomination d’un premier ministre civil pour conduire le reste de la transition, estimé à neuf mois.

« La France fait cavalier seul »

C’est donc politiquement incompréhensible de la part du gouvernement français de dire, qu’en suspendant provisoirement et à titre conservatoire les interventions conjointes avec l’armée malienne, la France s’aligne derrière la Cédéao et l’UA. En État souverain, qui peut faire cavalier seul, la France a décidé de ne pas suivre les résolutions de la Cédéao, de l’Union africaine et des Nation unies. Elle doit alors s’assumer plutôt que de chercher à se cacher derrière des organisations à l’égard desquelles elle n’a aucune considération. Car cette décision est unilatérale, discourtoise vis-à-vis de nos organisations qui vont en tirer toutes les leçons.

Toutefois, en agissant ainsi, le président français Emmanuel Macron veut donner l’impression de mettre la pression sur les nouvelles autorités de transition. Ce pour plusieurs raisons.

Il veut prouver à la face du monde que les forces françaises de l’opération Barkhane contribuent à la montée en puissance constatée et avérée de nos forces dans leur lutte contre le « terrorisme ». Ce qui n’est pas faux au regard des moyens aériens et en renseignements que son pays met à disposition. Même s’il faut admettre que certains revers de nos forces de défense et de sécurité sont dus essentiellement à des renseignements approximatifs fournis par nos partenaires français et à des choix stratégiques souvent jugés inadaptés à la réalité du terrain et aux ambitions des Maliens.

L’autre motif ? Paris veut rester un interlocuteur privilégié dans le dossier malien. Ainsi, telle la quatrième épouse d’un vieillard (certains cèdent difficilement aux caprices), elle tente de se faire désirer afin d’arriver à influencer la trajectoire que la transition pourrait prendre, selon les informations fournies par ses services. Elle craint une récupération de la situation par la Russie, comme c’est le cas en Centrafrique.

Concurrence russe

Il s’agit alors de sonder pour voir ou savoir si les nouvelles autorités vont se précipiter dans les bras de cette puissance militaire [la Russie] qui a, par le passé, contribué à faire de l’armée malienne l’une des plus redoutées sur le continent. Mais et surtout d’obtenir des garanties de nos autorités [probablement écrites], qui s’y engageront à respecter les conditions qu’elle aura à imposer. Ce qui légitimerait à nouveau son intervention aux yeux du monde entier, barrant ainsi la route à la concurrence russe, comme ce fut le cas à Pau face à la montée en puissance des sentiments « anti-présence française ».

Le plan B, le plus machiavélique, consisterait à tenter d’isoler le Mali, en jouant sur le registre de la prétendue montée en puissance de ce que Paris appelle « l’islamisme » et la « radicalisation », en référence peut-être à d’éventuelles négociations entre la transition et les groupes qualifiés de djihadistes. Il s’agit là d’une volonté délibérée de faire passer le Mali pour un « État terroriste » aux yeux de la communauté internationale. Ce qui pourrait isoler nos autorités et les obliger à accepter ses propositions voire des compromissions. Surtout dans un contexte économique quelque peu compliqué pour notre pays.

Le risque de ce jeu est grand pour la France et pour toute l’Europe, qu’elle expose au « terrorisme ». Si les autorités de transition venaient à résister à ce qui a tout l’air d’un « chantage diplomatique », Emmanuel Macron n’aura d’autre alternative que de demander le retrait de ses troupes. Ce qui ouvrira aux « terroristes » un boulevard incontrôlé et incontrôlable sur les pétroles de Total en Mauritanie et les gisements d’uranium d’Areva au Niger voisin : des poumons de l’économie et de la stabilité sociale française. Ils auront alors accès aux côtes, donc à la Méditerranée pour pouvoir envahir l’Europe. Et la France serait seule responsable de toutes les conséquences qui en découleraient. L’Europe l’aurait laissé faire.


  • Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas forcément celles de Benbere

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