[Tribune] La fin de la politique ou l’instauration d’un régime militaro-civil ?
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[Tribune] La fin de la politique ou l’instauration d’un régime militaro-civil ?

Pour le politiste Ballan Diakité, l’arrivée des militaires au pouvoir à la suite des évènements du 18 aout, perçue au départ comme un signe d’espoir, tourne de jour en jour à la désillusion et au désenchantement. Mais, concrètement, que faut-il craindre : la fin de la politique ou l’instauration d’un régime militaro-civil ?

Au gré des défis toujours grandissants, l’émotion laisse place peu à peu à l’objectivité. La pratique du pouvoir au quotidien se frotte à la réalité pure et dure. La cherté de la vie, la sécurité, la défense, l’éducation, la justice, la bonne gouvernance– des thématiques autour desquelles le Mouvement du 5 juin-Rassemblement des forces patriotiques a mobilisé– peinent à être au rendez-vous d’une transition « apparemment » salvatrice.

Les contradictions internes à celle-ci laissent peu de place à la cohérence dans les actions des militaires qui continuent à commettre des erreurs qui finiront probablement par les rattraper. Mais, au fond, que faut-il craindre concrètement : la fin de la politique ou l’instauration d’un régime militaro-civil ?

Dans un contexte de déliquescence générale de l’État, tout est possible : le bien ou le mal ; l’espérance ou la désolation ; la rupture ou la continuité ; le chaos. Toutefois, l’observation et l’analyse de quelques signes précurseurs permettent de saisir, avec plus ou moins d’exactitude, l’orientation probable que cette transition est en train d’insuffler à l’exercice du pouvoir politique au Mali.

Désenchantement ou fin du mythe de l’armée

C’est une idée fortement ancrée dans le subconscient collectif malien que l’armée est une institution neutre, patriote et moins corrompue. Les trente dernières années de démocratie en cours depuis 1991, ingénieusement mise en place pour servir les intérêts d’une classe politique peu sensible aux souffrances du peuple, a longtemps servi de moyen de légitimer cette croyance que les militaires seraient plus vertueux que les politiciens civils au pouvoir. Bien que cet argumentaire puisse paraitre vrai, de prime abord, il souffre néanmoins de consistance et d’intelligence. Puisqu’en fin de compte, l’armée est typiquement à l’image de la société, comme le sont d’ailleurs toutes les autres institutions de la République.

Une institution est avant tout le produit d’une société. A ce titre, les maux qui frappent la société dans sa globalité (corruption, détournement de fonds public, favoritisme) ne peuvent aucunement épargner l’armée, qui fait partie de la société. Une armée forte est toujours l’attribut d’un État fort, capable d’imposer l’autorité de la loi, le respect de l’ordre public, le maintien de la cohésion sociale. En d’autres termes, le succès d’une armée dépend de plusieurs facteurs sociologiques dont la confiance des citoyens notamment, qui doit accompagner les capacités matérielles, humaines et logistiques suffisantes.

Ces facteurs combinés déterminent largement la motivation des soldats et favorisent la mobilisation des troupes sur le terrain. Mais, pour impulser cette dynamique dans tout le corps social, il faut au préalable un cadre de bonne gouvernance et de transparence dans la gestion des affaires publiques à tous les niveaux de l’État.

Or, depuis la chute d’Ibrahim Boubacar Keïta, dit « IBK », la logique qui règne au sommet de l’État n’est pas celle de la bonne gouvernance, mais plutôt du clan et de la mainmise sur les biens publics. L’esprit corporatiste dans la gestion du pouvoir politique provoque toujours l’exclusion et la marginalisation dans un pays où les fragmentations sociales et politiques sont déjà aux extrêmes.

La démission forcée du président Bah N’Daw et de son premier ministre Moctar Ouane, pour avoir éjecté du gouvernement deux ténors de l’ex-Conseil national pour le salut du peuple (CNSP), les colonels Sadio Camara et Modibo Koné, est une illustration éloquente de la volonté de la junte de s’imposer au pouvoir et de protéger les intérêts des siens. Si la logique dominante sous IBK se résumait à « Ma famille d’abord », celle de la transition actuelle est sans doute « les colonels d’abord ». C’est dire finalement qu’entre militaires et civils, la frontière reste certainement minime quant à l’exercice du pouvoir politique.

Désarroi du peuple ou illusion démocratique

Dans ses négociations avec la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (Cedeao), la junte militaire s’est toujours appuyée sur l’argument de la souveraineté du peuple, donnant ainsi à son intervention du 18 août un caractère populaire et démocratique. L’élaboration de la Charte de la transition, dans un esprit de préférence clairement affiché pour un pouvoir militaire, est venue renforcer l’argument d’une transition militaire cautionnée et approuvée par le peuple. Volonté de se ranger du côté du peuple ou simple stratégie de se prémunir des sanctions internationales ? La politique est reconnue pour être cette activité particulière où l’on ne dit pas toujours ce que l’on fait et l’on ne fait pas toujours ce que l’on dit. Certains iront jusqu’à dire que le mensonge est une vertu en politique. Apologie du mensonge ou simple réalisme ? Quoiqu’il en soit, il faut du temps pour comprendre parfois certains faits politiques.

Les premières heures de la transition ont été marquées par de fortes contradictions entre les militaires putschistes. Autant ces derniers disaient être venus « parachever la lutte du M5-RFP », autant ils excluaient celui-ci. Sur une période de 18 mois prévue pour la durée de la transition, la junte aura exclu le M5-RFP pendant 10 mois au cours desquels elle eut tout le temps de monopoliser le pouvoir, renforcer ses assises et placer ses proches dans tous les postes stratégiques de l’État dont les gouvernorats. Pourtant, le combat du M5-RFP n’était pas seulement une lutte pour la conquête du pouvoir dont pouvait se revendiquer son élite, mais aussi et surtout l’espoir et la volonté des militants en un changement radical dans la gestion des affaires publiques.

« Nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement »

La soif de justice, le combat contre l’impunité et la cherté de la vie, le besoin de sécurité et de transparence dans la gouvernance sont autant de raisons qui ont justifié la mobilisation des citoyens au Boulevard de l’Indépendance, en plein cœur de la capitale malienne, tous les vendredis pendant des mois. De ce noble combat, il n’en reste plus qu’un souvenir amer pour des millions de Maliens qui se battent au quotidien. Toute la classe politique se réclame de lui, tous parlent en son nom mais aucun ne vit réellement sa souffrance et ses tourments.

En somme, on nous dit que nous sommes en démocratie mais nous ne sommes pas gouvernés démocratiquement. Passés le moment électoral, les moments de révolte et de désobéissance, le peuple se trouve peu souverain. La transition devait changer cela. Mais il est encore trop tôt pour faire un jugement définitif.


  • Ballan Diakité est chercheur en sciences politiques.
  • Les opinions exprimées dans cet article ne sont pas forcément celles de Benbere.

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Les commentaires récents (1)

  1. Voilà moi mon point de vue et si les militaires et les hommes politiques s’associaient pour la bonne gouvernance ne serait-il pas favorable au changement de notre nation ?