L’enjeu du livre de Seydou Badian est qu’une société en transition doit trouver un équilibre entre les valeurs anciennes et nouvelles. Au regard de la situation politique et sociale du Mali, ce message est d’une actualité brulante.
Chaque Malien et même chaque Africain, qui a fréquenté l’école, sait ou croit savoir quelque chose de Sous l’orage(Présence Africaine, 1957), le roman classique de Seydou Badian. Nous en avons lu des passages à l’école, aux côtés des autres géants de la littérature africaine, comme Bernard B. Dadié, Leopold S. Senghor ou Birago Diop.
Ce n’est donc pas par hasard que Seydou Badian vient en deuxième position des auteurs préférés au Mali, juste après le grand Amadou Hampâté Bâ. Mais, comme disait Régis Debray de Victor Hugo, « c’est un monument tellement imposant qu’on n’ose plus rentrer dedans ». Seydou Badian risque donc d’être un de ces monuments, dont on croit tout savoir et qu’on n’ose plus lire ou relire. Mais la situation politique et sociale que traverse le Mali devrait nous encourager à le redécouvrir.
L’histoire d’un conflit de générations
Publié pour la première fois en 1957, Sous l’orage raconte l’histoire de la famille du père Benfa, qui est écartelé entre la tradition et la modernité. Le père Benfa et son fils ainé Sibiri sont les garants de la tradition. Ils veulent que la société soit régie par les mêmes règles qu’ont suivies les ancêtres. D’un autre côté, Kany et Birama, les enfants cadets du père Benfa, sont les partisans de la modernité. Ils fréquentent « l’école des Blancs ». Ce sont des révolutionnaires qui veulent balayer les valeurs anciennes, africaines, traditionnelles et considérées comme rétrogrades pour les remplacer par des valeurs nouvelles, progressistes et rationnelles, inspirées par ce qu’ils ont appris à l’école.
Le comble de la mésentente survient quand le père Benfa décide de marier sa fille Kany à un riche notable, qui a déjà d’autres épouses. Mais Kany ne veut pas de ce mariage, car il est amoureux de son camarade d’école, et il a l’ambition de continuer ses études. La famille se divise donc entre les vieux qui soutiennent le mariage de Kany et les jeunes qui s’y opposent…
À travers cette histoire, Seydou Badian nous donne une photo d’une Afrique déchirée entre sa fidélité à son passé et son rêve d’un avenir meilleur.
Éloge de la modération et du dialogue
Au-delà de l’histoire, Sous l’orage célèbre la modération et le dialogue entre les différentes générations. Pour trouver un terrain d’entente, chacun doit se mettre à la place de l’autre. Les vieux doivent comprendre que les choses doivent changer, et les jeunes et les intellectuels doivent retenir que « le séjour dans l’eau ne transforme pas un tronc d’arbre en crocodile », et que le fait d’avoir été à l’école ne doit pas les pousser à rejeter leur propre culture. L’enjeu est donc de trouver un équilibre entre les valeurs anciennes et nouvelles.
Dans la situation politique et sociale actuelle du Mali, le message que transmet Sous l’orage est d’une actualité brulante. Nous sommes à un moment où l’ancien pouvoir s’est écroulé et où le nouveau peine à imposer sa marque. Le danger est que chaque acteur de cette transition tire la couverture de son côté, et que la maison Mali perde le peu qui lui reste de sa cohésion. Mais si chacun met en avant la modération et le dialogue, comme Seydou Badian semble nous le rappeler, le Mali pourra être sauvé.
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