Marier une seconde femme et abandonner la première et ses enfants : cette pratique devient de plus en plus courante au Mali.
La polygamie est certes autorisée par la religion musulmane, mais certains abusent trop de cette pratique. Disons que, malgré qu’elle soit inscrite dans les recommandations islamiques, la polygamie n’est pas obligée, encore moins appréciée par certaines femmes. Un rejet qui n’est pas fortuit : il est lié à la façon dont la polygamie est pratiquée et tous les problèmes auxquels elle aboutit, comme l’abandon de la première femme avec ses enfants par certains hommes, après avoir convolé en secondes noces.
Abandonnées par le mari
M.D, après s’être marié en catimini avec une seconde femme, a abandonné B.F et ses enfants en allant louer un appartement jusque dans un autre quartier de Bamako. Selon le témognage de B.F, il revenait très rarement lui rendre visite et ne passait jamais la nuit chez elle. B. F se débrouillait pour se prendre en charge avec ses quatre enfants. « Il ne savait même plus si moi et mes enfants vivions », confie-t-elle.
Le cas de B.F n’est isolé. A.C, elle aussi, vit la même épreuve à Fana, dans la région de Koulikoro, depuis que son mari l’a abandonnée avec ses enfants pour venir vivre avec sa deuxième femme à Bamako. La famille est restée depuis 2018 sans aucune nouvelle de lui. La trentaine, A.C a fêté la Tabaski dernière grâce à la charité de ses voisins, qui lui ont offert de la viande.
La première fois que j’ai entendu parler de ce phénomène, c’était en 2017 dans une Sotrama (moyens de transport bamakois très prisé pour son coup avantageux), lorsque que je revenais du centre-ville. Une femme, la quarantaine, racontait sa mésaventure lorsqu’une de ses connaissances lui a demandé les nouvelles de son mari. Avec un ton qui fait pitié, elle a raconté que son mari l’avait abandonnée pour aller vivre ailleurs avec sa deuxième femme juste après son remariage.
Le combat des religieux
Ces faits peuvent amener les uns et les autres à spéculer en avançant des raisons qui conduiraient les hommes à se livrer à de telle pratique, mais je ne vois pas d’explication valable. C’est d’ailleurs un comportement qui viole les prescriptions religieuses, musulmanes s’entend. Telle est la position de Daouda Cissé, imam de la grande mosquée de Fana et président de la branche locale de l’AMIPI (Association malienne pour l’unité et le progrès de l’islam). Selon lui, cette pratique est condamnée par l’islam. C’est ce qui l’a amené à faire un exposé des conditions exigées par l’islam pour se marier à plusieurs femmes.
Il explique que l’égalité entre toutes les femmes est une condition sine qua non à l’option de la polygamie. « L’égalité dans le lit, dans l’habillement, le soin, l’alimentation est nécessaire », précise-t-il également. D’ailleurs, dans son Dictionnaire élémentaire de l’islam (1986, 2e édition), l’islamologue algérien Tahar Gaïd estime que « la polygamie n’est pas une institution propre à l’islam, qui limite seulement sa portée par des dispositions restrictives dont la difficile observance conduit implicitement à la monogamie »
Les imams de Fana ainsi que les membres de l’AMIPI se battent aujourd’hui corps et âme pour que cette pratique cesse, affirme M. Cissé. Plusieurs sensibilisations sont à cet effet faites dans les mosquées autour du phénomène. La polygamie est certes une institution, mais les conditions posées sont violées de plus en plus par des pratiquants.