Dans un entretien à « Benbere », Saloum Traoré revient sur la situation des droits de l’Homme au Mali. Pour lui, en dépit des garde-fous, les droits humains sont menacés au Mali.
La « crise » politique que traverse le Mali est caractérisée aussi par de graves violations des droits humains. Depuis 2012, un raz-de-marée de violences déferle sur des portions du territoire, impliquant crimes violents, assassinats, viols perpétrés par différents acteurs armés. En raison du climat sécuritaire et politique, la situation des droits humains s’est dégradée, soulevant ainsi des questions sur les instruments qui encadrent leur protection.
Saloum Traoré a dirigé Amnesty International Mali pendant 20 ans et est également secrétaire administratif de l’Amicale des anciens et sympathisants de l’Union nationale des élèves et étudiants (AMSUNEEM). Il répond aux questions de Benbere.
Quelles sont les principales conventions internationales sur les droits humains que le Mali a ratifiées ?
Plusieurs conventions internationales, parmi lesquelles la déclaration universelle des droits de l’Homme, non contraignante, mais qui inspire les autres conventions. Il faut citer aussi le Pacte international relatif aux droits civils et politiques (PIDCP, 1974), le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels (PIDESC, 1974), la Convention sur l’élimination de toutes les formes de discrimination à l’égard des femmes (CEDEF ou CEDAW, 1985), la Convention contre la torture et autres peines ou traitements cruels, inhumains ou dégradants (1999), la Convention relative aux droits de l’enfant (1990), la Charte africaine des droits de l’Homme et des peuples (1986).
Quid des principaux textes de loi en vigueur qui protègent les droits humains ?
Tout d’abord la Constitution du Mali garantit plusieurs droits fondamentaux comme le droit à la vie, l’égalité devant la loi, la liberté d’expression et le droit à un procès équitable. Ensuite, nous avons le code pénal, qui contient des dispositions contre la torture, la traite des personnes, la violence basée sur le genre, etc. La loi sur la protection des enfants protège les droits des enfants conformément à la Convention relative aux droits de l’enfant (2002). L’avant-projet de loi contre les violences basées sur le genre, elle, cherche à criminaliser les violences faites aux femmes. Nous avons aussi la loi sur les défenseurs des droits humains (2018).
Comment sont comblées les contradictions entre les conventions internationales et les lois nationales maliennes ?
Normalement quand un État ratifie une convention, il n’y a plus de contradiction avec les lois nationales. Ces conventions ratifiées deviennent directement des lois. Cependant, le système judiciaire doit savoir comment adapter ces conventions à la loi nationale. A partir de la convention, on élabore une loi. Même si la loi n’a pas été élaborée, en cas de violation, l’État est obligée de reconnaitre. Mais très souvent, nous avons des problèmes avec la magistrature. Si la convention n’a pas été adaptée à la loi nationale, le juge n’a pas de texte sur lequel se baser pour prendre des décisions. Dans ce genre de cas, il est capable de juger n’importe quel cas selon sa propre conviction.
Quels sont les organismes nationaux chargés de veiller au respect des droits humains au Mali ?
Nous avons la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), créée en 1996, chargée de surveiller et promouvoir le respect des droits de l’homme. Elle évalue la conformité des pratiques nationales avec les engagements internationaux et fait des recommandations. Il faut aussi mentionner le ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, qui joue un rôle clé dans la promotion des réformes législatives et le suivi des droits humains.
Les organisations non-gouvernementales (ONG) interviennent beaucoup dans notre pays. Plusieurs ONG locales et internationales jouent un rôle de surveillance et de dénonciation des violations des droits de l’homme, comme l’AMDH (Association malienne des droits de l’Homme) et Human Rights Watch au niveau international. Il y a aussi Wildaf-Mali (Women in Law and Development in Africa), l’association Terre des Hommes, entre autres.
Quels défis pour les droits humains aujourd’hui au Mali ?
Le principal défi réside dans les difficultés actuelles que nous traversons. Actuellement, nous évoluons dans un système hybride. A la suite du coup d’État, en de charte de la transition, une nouvelle constitution a été adoptée. On peut dire que des efforts ont été faits pour éviter un vide juridique et préserver le respect des lois et des droits fondamentaux, de sorte que nous ne sommes jamais réellement sortis du cadre légal.
Cependant, il est indéniable que dans la situation actuelle, l’État de droit est sérieusement menacé, même si des garde-fous ont été mis en place pour garantir son respect. On peut citer la mise en place de numéros verts pour dénoncer les violations des droits humains, l’adoption d’un nouveau code pénal où le procureur seul me peut plus délivrer un mandat de dépôt, la création du pôle judiciaire contre l’extrémisme violent et le terrorisme, la création d’une cour spéciale pour les mineurs, les formations pour les Forces de défense et de sécurité en droit international humanitaire ou encore la criminalisation de la pratique de l’esclavage qui est prévue.