La vie au foyer ne doit pas rimer avec violences jusqu’à ce que mort s’en suive. Hatoumata a été témoin de la souffrance de sa mère. Une mère morte à la suite de violences conjugales, laissant des souvenirs douloureux dans la mémoire de sa fille. Elle nous raconte.
« Mon père est un assassin » est bien le titre que j’aurais voulu donner à ce petit récit sur mon calvaire de jeune fille orpheline de sa mère. Je suis Hatoumata. Je viens d’assister à l’enterrement de ma mère, tuée par mon père. Je ne sais pas comment je me sens : juste noyée dans un océan de sentiments douloureux. Au moins, je me dis qu’elle repose finalement en paix. Là-bas dans les cieux, sans coups ni insultes. Je me dis souvent que c’est peut-être la meilleure réponse que Dieu a trouvée à toutes les prières qu’elle formulait pour que ça cesse.
Maman, je sais que tous les foyers ne sont pas comme le nôtre : un ring de boxe. J’aurais voulu que tu me dises cela, que ce que tu vivais n’était pas normal. Que tous les mariages ne fonctionnaient pas comme ça, mais tu as préféré te taire, couvrir les violences de ce sadique, déguisé en époux pour toi, et père pour nous autres. Tu as préféré ne pas piper mot au nom d’un quelque respect de la sacralité du mariage.
« On ne quitte pas un homme à cause des coups de fouets »
Tu savais tellement cacher ton désarroi derrière ton sourire majestueux. Et moi, je me sentais coupable. Coupable de ne pouvoir rien faire pour te sortir de cette cage dans laquelle tu étouffais de plus en plus. Après tout, que pouvais-tu faire d’autre à part rester après plusieurs tentatives pour pouvoir y mettre fin ? « Une femme doit rester dans son foyer. Tu es une femme et peu importe ce que tu vis, tu dois rester dans ton foyer » sont bien les mots de grand-père à chaque fois que tu décidais de rejoindre ta famille lorsque papa portait la main sur toi.
Et grand-mère, quant à elle, renchérissait : « On ne quitte pas un homme à cause des coups de fouets. Il y a moins d’hommes que de femmes de nos jours, tu te dois de protéger ton foyer. » Te voir supporter tout cela, impuissante, me poussait à mépriser le mariage.
Parfois, oui, j’ai aussi ce sentiment de regret qui m’anime. Le regret d’être née fille dans un pays où il relève de la norme du mariage qu’un homme « corrige » sa femme jusqu’au sang. Parfois jusqu’à ce qu’elle y laisse sa vie. Maman, me voilà couchée seule et mes pensées sont guidées vers toi. Tu me manques ; j’aurais aimé que tu sois à mes côtés ce soir. Malheureusement, tu as aussi été victime de cette animosité qui fait sombrer bon nombre de femmes dans le silence.
Au Mali, il est difficile de trouver des chiffres exacts sur les survivantes de violences conjugales et les cas d’assassinats. Selon le Système de gestion d’information lié aux violences basées sur le genre, entre janvier et octobre 2022, 11534 cas de VBG ont été enregistrés. Faudrait-il souligner que moins de 2% d’hommes sont concernés par ce chiffre ? Rien qu’entre avril et mai, trois cas de féminicides intimes ont circulé sur les réseaux sociaux. L’une d’entre elles était enceinte de jumeaux. Nul besoin de rappeler que ces cas sont ceux qui sont médiatisés.
Tendre mère, j’espère que tu m’entends de là où tu es. Après ton trépas, la cause pour laquelle beaucoup de femmes, y compris moi, se ceignent les reins aujourd’hui, est l’adoption d’une loi contre les violences conjugales.
« Une loi pour nous protéger »
La loi contre les VBG peinant à passer, il serait idéal d’introduire dans le code pénal un chapitre de répression spécifique lié aux violences contre les femmes. Même si, par-dessus tout, ce qui reste indispensable, c’est une loi contre les violences faites aux femmes.
Mère, serais-tu en vie aujourd’hui si une telle loi existait ? Je n’en sais rien, mais je suis convaincue que cela pourrait faire réfléchir à deux fois les bourreaux avant de commettre un acte aussi irréversible. Une loi pour nous protéger est plus qu’une nécessité.
Malheureusement, nos cris de cœur semblent ne pas atteindre les décideurs. Nos histoires, nos douleurs et notre impuissance semblent ne pas les concerner. Les femmes continuent de trépasser, et jusque-là aucune mesure spécifique n’est adoptée.
Maman, j’ai compris que des milliers de femmes à travers le monde ont vécu et vivent une situation similaire, et des milliers d’entre elles à travers le monde subissent le même sort : tuées par leur conjoint.
J’ai grandi en te voyant pleurer silencieusement. Ton argument, que je n’ai jamais compris, était de dire que tu supportais ces coups pour nous. Te voilà à présent sous terre. Que dire aux autres enfants quand ils vont grandir ? Aucun enfant ne mérite de se retrouver orphelin à cause d’un père assassin. Aucune femme ne mérite d’être tuée, encore moins par son conjoint. Aucune femme ne mérite ça.