Le féminicide gagne de plus en plus du terrain dans notre société. Au-delà des femmes qui perdent la vie, leurs orphelins subissent à leur tour un sort peu enviable, écrit la blogueuse Niamoye Sangaré
Les séquelles psychologiques chez les enfants des femmes victimes de violences conjugales sont énormes. Mais, paradoxalement, on en parle peu. Pourtant, ils ne sont nullement coupables de leur sort. Les orphelins de féminicide sont stigmatisés, dans certains cas harcelés, indexés et rejetés par la société.
Bien que le crime ait été commis le plus souvent par le père, la société réserve à ces enfants une certaine sentence. Ils payent un lourd tribut jusqu’ à l’âge adulte. C’est le cas de Samba, qui a vu sa demande de mariage rejetée à cause du crime commis par son père. « Ils m’ont refusé la main de leur fille, parce que mon père a tué ma mère. Pour eux, la violence est génétique, donc héréditaire, et je pourrais donc un jour reproduire le même acte sur leur fille », se désole-t-il.
Tabou
« Dans le cas concret des orphelins de féminicide, les motifs du décès sont cachés à l’enfant. Mais ce qu’on oublie, c’est que généralement, les enfants sont témoins de la scène et manifestent leur deuil de plusieurs manières : l’isolement, l’agitation, l’agressivité », explique Dr. Ibrahim Haidara, psychologue au cabinet PSY2A à Bamako.
Le Dr Haidara a en charge des jeunes patients ayant perdu leur maman suite à des violences conjugales. Dans le suivi de ses patients, il se propose de révéler toute la vérité à ses jeunes patients en douceur sans réveiller en eux une certaine agressivité. « Ces enfants seront à la recherche permanente de l’être perdu et c’est seulement en le leur disant de manière intelligente et douce qu’elles pourront se faire une raison », a-t-il ajouté.
Baissa, la vingtaine, a également perdu sa mère dans des conditions tragiques. Son témoignage vient soutenir les propos du Dr Haidara. « Malgré mon jeune âge, je me rappelle avoir assisté aux funérailles de ma mère après une nuit très bouillante et violente. Dès lors, j’ai compris qu’elle n’allait plus revenir. Mais, à la maison, on continuait à me dire qu’elle était en voyage et allait revenir très bientôt », confie-t-il.
Raillerie en milieu scolaire
Même à l’école, les orphelins de féminicide ne sont pas épargnés : « Imaginez-vous une seconde de vous retrouver dans une cour pleine d’enfants qui te regardent de travers à chaque sortie de classe. C’est à l’école que j’ai su que ma maman m’a été arrachée à cause de la violence de mon père. Les autres élèves ne rataient jamais l’occasion de me le jeter à la figure chaque fois qu’on se bagarrait. J’essaye de me faire de nouvelles amies pour oublier cela », se souvient Mariam, orpheline de mère, désormais mariée et mère d’un petit garçon.
Selon Maître Cheick Oumar Konaré, avocat au barreau malien, il n’existe aucune loi spécifique pour la prise en charge des orphelins de féminicide. Ni les services publics, ni les organisations et associations qui interviennent dans le cadre de la promotion des enfants n’ont des mesures spécifiques destinées à ces enfants. Pour la directrice adjointe de la direction nationale de la promotion de la femme et de l’enfant, cela est dû au poids de la société. « La question des enfants dont les mères ont été victimes de violence conjugale reste taboue pour beaucoup de gens. Ils courent le risque d’être harcelés ou stigmatisés, c’est pourquoi on ne précise jamais la raison qui a fait d’un enfant un orphelin. Ils sont traités de la même manière que les autres enfants », nous confie Mme Sow N’Deye.
Ainsi, ils ne bénéficient d’aucun accompagnement psychologique pour surmonter la perte de l’être cher. « L’histoire de chaque enfant commence ici chez nous, donc on ne s’attarde pas sur son passé », déclare Bouaré Fatoumata Koné, directrice de la pouponnière de N’Tabacoro.
Mais, dans les années à venir, la donne pourrait changer. Car au niveau du programme national pour l’abandon des violences basées sur le genre, Youssouf Bagayoko affirme qu’un projet de loi est en cours de préparation pour résoudre la prise en charge spécifique des enfants se trouvant dans des situations similaires.
En attendant le projet de loi, il faut un changement de comportement vis- à vis de ces enfants qui ont plus besoin d’attention, de délicatesse, de compassion et d’accompagnement pour surmonter l’épreuve endurée.