Alors que les réseaux sociaux gagnent en influence, les deepfakes, ces contenus générés par intelligence artificielle, émergent comme une menace sérieuse. Tidiane Togola, directeur de Tuwindi, une organisation dédiée à la promotion des technologies pour le développement, éclaire sur leurs impacts et les solutions à envisager.
Quelle est l’ampleur du phénomène au Mali et comment le contexte local amplifie-t-il sa propagation ?
Les deepfakes sont encore émergents, mais leur croissance est rapide, portée par la démocratisation des outils numériques et l’accès accru aux réseaux sociaux. Au Mali, le faible niveau d’alphabétisation numérique rend les populations vulnérables. Les gens accordent une confiance aveugle aux images ou vidéos, qu’ils perçoivent comme réelles. A cela s’ajoute un contexte politique et social tendu, marqué par la polarisation. C’est un terrain fertile pour la diffusion de contenus falsifiés qui exploitent ces divisions.
Comment les deepfakes affectent-ils la confiance des Maliens envers les médias, les institutions ?
Une fausse vidéo attribuant des propos incendiaires à un leader peut déclencher des violences ou des manifestations. Nous avons vu des cas où des personnalités mises en cause ont dénoncé des contenus falsifiés visant à les discréditer. Vrais ou pas, ces exemples montrent le pouvoir des deepfakes pour manipuler l’opinion ou semer le chaos. Dans ce contexte, renforcer la résilience informationnelle des citoyens et des institutions est crucial.
Quelles solutions préconisez-vous pour rendre la détection des deepfakes accessible, notamment dans les zones à faible connectivité ?
Il faut des outils adaptés à nos réalités. D’abord, des applications légères, utilisables sur des smartphones basiques, pour repérer les incohérences dans les vidéos ou images. Ensuite, des formations locales sur les techniques de détection visuelle et sonore. Enfin, collaborer avec des universités pour adapter des technologies comme Deepware Scanner ou Sensity AI à notre contexte technologique et culturel. Ces approches combinées rendraient la détection plus accessible.
Les acteurs économiques exploitent-ils les deepfakes au Mali, et comment en limiter les abus sans freiner l’innovation ?
Pour l’instant, leur usage commercial reste limité, mais certains pourraient y recourir pour promouvoir des produits douteux. Sensibiliser les consommateurs aux risques est essentiel, tout comme renforcer la régulation de la publicité numérique. Des codes de conduite pour les plateformes en ligne, associés à un usage responsable de l’IA générative, permettraient de limiter les abus sans étouffer l’innovation. L’idée est de responsabiliser, pas de bloquer.
Quelles initiatives éducatives proposeriez-vous pour sensibiliser, notamment les jeunes ?
La sensibilisation est largement insuffisante, surtout en zones rurales où l’accès à l’information est limité. Il faut des campagnes multicanales – radio, télévision, réseaux sociaux – ciblant les jeunes, grands consommateurs de contenus numériques. Intégrer l’éducation aux médias dans les programmes scolaires, avec un focus sur l’esprit critique, serait un grand pas. Des ateliers pratiques pour repérer les deepfakes permettraient aussi de doter les citoyens des compétences nécessaires.