Au Mali, nous assistons à un amalgame par la substitution de la justice populaire à la justice de l’État. Cette situation découle du manque de confiance en la justice.
« Aye zon minè, aye zon minè ». Il suffit juste de cette phrase : « Attrapez le voleur ! », pour que la foule se déchaîne sur un individu indexé comme voleur. A tort ou raison, on le roue de coups, souvent jusqu’à ce que mort s’ensuive.
L’autre forme de violence, de plus en plus répandue, est ce qu’on appelle à Bamako « l’article 320 ». Il s’agit d’une forme de justice populaire, consistant à capturer le voleur puis à l’exécuter par immolation : 300 francs pour l’essence, 20 francs d’allumette.
Se rendre justice soi-même est un phénomène qui prend de plus en plus d’ampleur au Mali. Tout cela, à mon avis, parce que la justice a perdu du crédit aux yeux des citoyens. Elle est accusée régulièrement, à tort ou à raison, de « relâcher des coupables et garder des innocents ». Nombreux sont ceux qui décident de se rendre justice en exécutant ipso facto tout individu déclaré comme étant voleur. Cette situation ne risque-t-elle pas de nous conduire dans l’anarchie ?
Vindicte populaire
Le débat sur le sort réservé aux voleurs, ou aux supposés voleurs, est parfois très houleux. Chaque fois que j’ai soulevé la question dans mes grins, j’ai toujours été seul dans ma position : « Comment veux-tu qu’on amène un voleur au commissariat pour le rencontrer demain ou après-demain dans le quartier en train de se pavaner. Ça, jamais ! », s’écrie Karim, enseignant à Bamako.
Ce qui me rappelle le cas de B.S sur lequel Benbere a fait un billet. B.S a été victime de vol par effraction, le coupable a été arrêté puis immédiatement libéré par le tribunal de la commune V de Bamako, sis à Torokorobougou. Au regard du cas de B.S, beaucoup de citoyens maliens préfèrent se rendre justice à cause de ce qu’ils qualifient d’injustice : libérer un coupable. « La vérité du juge s’éloigne souvent des évidences citoyennes », ai-je lu dans le commentaire d’un ancien ministre de la Justice au cas de B.S.
État de nature
Je ne suis pas dans une logique de soutenir les voleurs, ni les hommes de lois. Je m’interroge sur les conséquences d’un tel acte à la longue. En continuant à mettre le feu à tous ceux qui seront déclarés voleurs, n’y a-t-il pas de risques que nous brûlions un jour un innocent par erreur ? Nous l’avons fait plusieurs fois peut être sans le savoir. Autant nous avons brûlé vif des coupables, même si cela n’est pas normal, autant nous avons probablement aussi brûlé des innocents.
Dans un pays à 90% musulman, ce comportement est-il conforme aux principes islamiques ? Bien sûr que non. La sourate 5 (Al-Ma-Idah, La Table Servie), verset 38 du Coran, est claire : « Le voleur et la voleuse, à tous deux coupez la main, en punition de ce qu’ils se sont acquis, et comme châtiment de la part d’Allah. Allah est Puissant et Sage. » En outre, même à ce niveau, il y a des exceptions que précise le verset 39 en ces termes : « Mais quiconque se repent après son tort et se réforme, Allah accepte son repentir. Car Allah est, certes, Pardonneur et Miséricordieux.» Quand bien même, nous ne sommes pas en théocratie, et ce n’est pas à la religion de faire appliquer la loi.
Ce qui laisse comprendre que ce genre de vindicte populaire est contraire aux prescriptions islamiques et s’assimilerait à une « barbarie populaire », puisqu’elle viole également les lois de l’État. C’est une pratique qui nous ramène à une situation « d’état de nature » où règne la loi du plus fort.
Alors faut-il s’asseoir pour regarder ces voleurs priver les paisibles citoyens de leurs propriétés voire de leur vie puisqu’ils ont fini par s’armer en voyant qu’ils sont tués une fois attrapés ? Les laisser faire revient à cautionner les actes qu’ils posent et à légitimer pour ainsi dire le vol. Ce qui nous fera plonger de plein pied dans cet « état de nature ».
Face à ce dilemme, il faut s’assumer. La justice doit faire régner la loi et les populations la respecter en conduisant les voleurs aux commissariats.