Souleymane Keita (2) : « Il faut prévoir un renouvellement de la classe politique au Mali »
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Souleymane Keita (2) : « Il faut prévoir un renouvellement de la classe politique au Mali »

Souleymane Keita est chargé de cours de philosophie politique et morale à l’Université des lettres et sciences humaines de Bamako (ULSHB). Dans la deuxième partie de l’interview accordée à Benbere, l’enseignant-chercheur prédit un renouvellement de la classe politique au Mali.

Benbere : Le président Keïta a démissionné, dissout l’Assemblée nationale et le gouvernement. Maintenant, que faudrait-il faire ?

Souleymane Keita : C’est ce qui aurait dû se passer en 2012 pour nous éviter cet énième rebondissement. Aujourd’hui, les militaires commencent à définir le cadre. Ils ont une certaine maturité par rapport à tout ce qu’on avait vu. Ils commencent à prendre langue avec la classe politique, parce que la gestion du pays doit, de toutes façons, revenir aux civils. On va retourner au jeu démocratique, mais on ne peut pas faire de jeu démocratique sain tant que le problème institutionnel, la révision constitutionnelle et l’assainissement de l’espace électoral ne sont pas faits.

Parce que le point d’orgue de la crise que nous traversons aujourd’hui, il faut le reconnaitre, ce sont les élections législatives de mars-avril 2020. Avant, il y avait bien sûr de sérieux problèmes au Mali mais les législatives ont été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase. Il faut faire en sorte que l’État n’organise plus les élections, qu’il y ait des organes ou un organe indépendant de l’État qui organise les élections et qui proclame les résultats que la Cour constitutionnelle pourra valider. Mais, que l’on sorte de l’organisation des élections par les instances étatiques, parce qu’on ne peut pas être à la fois acteur et arbitre.

Quels dividendes les leaders politiques du M5-RFP (Mouvement du 5 juin – Rassemblement des forces patriotiques), dont certains étaient politiquement « morts » avant la contestation, pourraient-ils tirer de la situation actuelle ?

C’est en cela que je disais que les crises sont des occasions de rebondissement. En 2012, l’ancien président Ibrahim Boubacar Keita lui-même était politiquement mort avant le coup d’État. Mais, il faut se dire que nous avons tiré les leçons de tout cela. Quand vous regardez les mobilisations organisées par le M5-RFP, par les hommes qui incarnaient ce mouvement, vous comprendrez que ceux qui sortaient manifester au Mali ou hors du Mali ne sortaient pas pour soutenir tel ou tel homme politique. Il y avait plutôt un idéal qui était véhiculé par le M5-RFP.

Si vous regardez M5-RFP, il n’y a véritablement pas de leaders capables de mobiliser autour de lui, à lui tout seul, cette foule. Beaucoup avaient parié sur l’échec du M5-RFP parce que c’était un mouvement hétéroclite, où on trouve des gens de gauche comme Oumar Mariko, des religieux comme la CMAS (Coordination des mouvements, associations et sympathisants), des gens de la droite, des libéraux. C’est pourquoi le rôle de l’imam Mahmoud Dicko a été déterminant, puisqu’il se met au-dessus de tout ce conglomérat d’hommes politiques. Quand il y aura élection, chacun volera de ses propres ailes. On va se retrouver dans un débat très intéressant. Chacun de ces leaders politiques va tenter de tirer la couverture sur lui, invoquant son rôle dans le mouvement de contestation.

Faut-il craindre une rupture dans la chaîne de commandement militaire comme en 2012 ?

En 2012, juste après le coup d’État il y a eu une rupture dans la chaîne de commandement, ce qui explique que trois régions sont tombées en trois jours : Kidal, Tombouctou, Gao. Et s’en est suivi ce qu’il est arrivé à Konna. Cette fois-ci, au vu de ce que la junte nous montre, elle a tiré les leçons de ce qui s’est passé.

Tout porte à croire que ce coup d’État était minutieusement préparé. Il n’y a pas eu de rupture dans la chaîne de commandement. Les chefs des zones militaires sont restés à leurs postes. Évidemment, on peut tirer un bénéfice de cette histoire, parce que celui qui est à la tête de ce coup d’État provient des forces spéciales. Probablement, lui et ses hommes sont engagés. Il ne peut y avoir les mêmes conséquences qu’en 2012.

Comment voyez-vous l’issue des évènements ?

Les militaires feront probablement une courte transition. Et, très rapidement, nous irons au référendum, à un travail sur la Constitution qui aboutira à des élections. Parce que dans un pays comme le nôtre, on ne peut pas rester dans une transition pendant longtemps. On va organiser des élections, les trois ensemble probablement (présidentielle, législative et référendaire) pour que notre pays puisse retrouver son rang dans le concert des nations respectées.

Mais le vent qui souffle sur le Mali aujourd’hui, ça ne peut être et ça ne doit être qu’un vent d’espoir, que nous allons probablement partager avec la sous-région pour que nous puissions sortir de ce marasme politique, sécuritaire ambiant dans lequel on se trouve. Il faut prévoir un renouvellement de la classe politique au Mali. C’est inévitable. Ça  ne veut pas dire que tous ceux qui ont eu à gouverner vont disparaitre comme une baguette magique. Mais il va y avoir une nouvelle ère, un vent nouveau. On va faire notre mue comme le serpent.


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Les commentaires récents (2)

  1. C’est grave qu’un enseignant de ce niveau parle de classe politique. Politique n’est pas une classe. Les classes sont : la bourgeoisie et le prolétariat. De plus, un chercheur fait des analyses et non des prédictions. Les predictions appartiennent aux devins. Et comme il ne fait pas d’analyse, il se trompe vertement. Il n’y aura pas de changement et cela nous conduira helas à la radicalisation islamique à terme.