À Bamako, la viande de bœufs est prisée par les consommateurs qui, en majorité, ne s’interrogent guère sur le respect des mesures d’hygiène dans les abattoirs encore moins sur l’acheminement de la viande au marché.
Le marché de bétail de Niarela, en commune II du district de Bamako, est transformé en un abattoir à ciel ouvert d’animaux de tout acabit destinés à la vente. En fait, les bouchers achètent des bêtes qu’ils font abattre par des jeunes, qui ne sont là que pour le dépeçage et l’épuration d’organes. Ces jeunes, en rupture de ban avec les usages normés par les services d’élevage nationaux, utilisent des couteaux pour abattre toutes les bêtes à la demande de leurs patrons bouchers. Il est difficile de dire s’ils désinfectent les couteaux d’un animal à un autre. On aperçoit la viande sur les restes intestinaux d’autres animaux en putréfaction.
Par ailleurs, ces jeunes ne portent pas de tenues propres, encore moins de gants. Dans cet abattoir improvisé, s’y déploient toutes les stratégies clandestines visant à tromper le contrôle des vétérinaires. Même quand ceux-ci sont présents, ils ne peuvent sillonner l’ensemble du marché en raison de son immensité ou du nombre important des carcasses à examiner.
Les bouchers ont recours à une pratique insidieuse, consistant notamment à tremper un liquide bleuâtre sur les côtés extérieurs des carcasses afin d’attester leur diagnostic par les agents vétérinaires. « Nous faisons cela depuis toujours, avec ou sans la présence des agents d’élevage, car les animaux que nous abattons ne présentent aucun signe de maladie», explique Sory (le prénom a été modifié), boucher au marché de Médina-Coura, quartier populaire en commune II. C’est dans ces conditions d’absence de respect des mesures hygiéniques que la viande est transportée au moyen des motos jusqu’au marché.
« Travailler avec les moyens du bord »
Pour transporter la viande jusqu’au marché, les bouchers mettent sur les motos personnelles plus de 200 kg de viande, et cela sans emballages sécurisés. Ainsi, de l’abattoir au marché, la viande est exposée à toutes sortes de pollutions : ruissellement des sueurs des bouchers sur la viande, poussières résiduelles et la pollution issue d’engins, etc.
Les bouchers s’en soucient peu et certains disent « travailler avec les moyens du bord » : « Je ne peux transporter ma viande que sur la moto. Ma bourse ne me permet pas de m’acheter un véhicule. En plus, je paie les bœufs à des prix exorbitants. Je paie également les jeunes qui abattent et dépècent ces vaches pour moi, sans compter le carburant nécessaire me permettant de faire la navette entre l’abattoir et le marché », témoigne M. Guindo, un boucher.
Interrogations de l’Association des consommateurs de viande
Les consommateurs sont bien informés de cette situation qu’ils observent tous les jours. Mais ils ne peuvent se passer de la viande. « Chaque matin, je paie jusqu’à 8 kilogrammes de viande sans os chez mon boucher. Je sais comment la viande est acheminée, c’est pourquoi je prends soin de bien la laver avant de commencer la grillade », confie Salama, une vendeuse de brochette à Niarela.
Actuellement, malgré une modernisation timide de ce secteur, les consommateurs continuent à s’approvisionner en viande auprès des bouchers détaillants traditionnels, sans s’interroger sur leurs conditions de travail. « Cela fait plus de vingt ans que je paie de la viande chez mon boucher et je n’ai jamais constaté de problèmes inhérents à la consommation. Ce qui m’intéresse, c’est mon achat quotidien », déclare une consommatrice.
Ce phénomène attise les interrogations de l’Association des consommateurs. Celle-ci observe la situation qu’elle dit avoir dénoncée auprès des autorités compétentes : « Nous avons toujours mené des enquêtes pour nous éclaircir sur les conditions de travail des bouchers. Sachez qu’après avoir pris connaissance de la situation d’insalubrité dans laquelle se trouve l’abattoir de Niarela, nous avons tout de suite alerté les services d’élevage qui nous ont fait la promesse que des actions punitives sont en cours contre l’abattage clandestin. », témoigne Moctar, un porte-parole.
Devant cette carence de santé publique inquiétante, le contrôle des autorités compétentes n’est pas effectif et la législation est très pauvre en termes de sanctions en cas de violation des textes réglementaires régissant ce secteur.
« Contournements »
Cependant, il convient de rappeler quelques conditions liées à l’exercice du métier de boucher au Mali. Pour être boucher, il faut être détenteur d’une patente, agréé par les services d’élevage national ou régional. Il faut avoir exercé le métier de boucher pendant, au moins, 10 ans avec un professionnel. En outre, les vétérinaires organisent souvent des journées de ratissage pour s’enquérir du respect des normes par les bouchers. « Dans le contexte bamakois, confie un vétérinaire, il est difficile de savoir si les bouchers violent la loi. Mais nous innovons davantage en stratégies pour cerner les contournements. En raison de toutes ces tracasseries, je me fais aider par mes stagiaires pour essayer de minimiser les pratiques illicites des acteurs du secteur d’activité de la boucherie.»
Il est urgent de concevoir des politiques publiques susceptibles de garantir le contrôle efficient de ce secteur, en vue de permettre un réel civisme des acteurs impliqués. Toutes choses qui faciliteront son dynamisme et sa réorganisation. Pour ce faire, l’État doit prendre le devant dans cette quête de normalisation du secteur de la boucherie.