Dans cette tribune pour Benbere, l’ingénieur social intervenant sur les politiques socio-économiques de territoire, Mohamed Maïga, estime que la décadence de l’État n’est pas une solution mais révèle plutôt un échec de la société.
Dans la protection des intérêts individuels par l’État, les drapeaux de tous les pays sont gris. Aucun État de l’ère postmodernité ne pourra s’ériger en assureur pour la protection d’un intérêt uniquement positif ou négatif. Il devra protéger tous les intérêts individuels : ceux qui apportent le « mal » et ceux qui apportent le « bien ». C’est encore le principe de la dualité, à l’origine même de l’existence humaine, si on se réfère aux différentes croyances monothéistes.
L’État doit protéger les honnêtes comme les malhonnêtes pour le bien de tous. C’est un stabilisateur. Si ce stabilisateur revient à être défaillant dans ce rôle, c’est une guerre d’intérêts ouverte. S’il disparaît, c’est l’échec du bien et du mal au désavantage de tous. Dans tous les cas, il doit exister et perdurer. Aucun chef de famille, leader politique, chef d’entreprise ne pourra défendre le seul bien ou le seul mal. La coexistence des intérêts est incontournable.
Préserver l’intérêt commun, une question de société et de justice
La question qui se pose n’est, dès lors, plus liée à l’idée d’une utilité ou non de l’existence de l’État : ce dernier se doit de perdurer pour continuer à préserver malgré tout l’intérêt commun. Il s’agit alors de savoir comment préserver l’intérêt commun. Celui-ci n’est pas, comme on pourrait le penser, la somme des intérêts individuels, mais ce qui existe à la frontière de tous les intérêts individuels. Ce qui permet aux intérêts de coexister. L’intérêt commun est toujours à protéger, car il est toujours coincé entre plusieurs intérêts individuels à finalités différentes. La sauvegarde et la pérennisation de cet intérêt est au cœur de plusieurs problématiques au Mali.
Il y a des mécanismes qui permettent la protection, la sauvegarde et la pérennisation de l’intérêt commun. Et la justice est au premier rang. Quand la justice est défaillante, on peut difficilement arriver à préserver l’intérêt commun. Dans des États comme celui du Mali, la défaillance de la justice est aggravée par l’obsolescence ou même la décadence lente et progressive des mécanismes traditionnels qui rendent la justice. Rendre justice fait plus peur que diriger. Ce constat, on le retrouve autant au niveau des magistrats que des chefs traditionnels. Pendant l’occupation du Nord, en l’absence de l’État, les occupants ont imposé la charia pour préserver l’intérêt commun et le vivre-ensemble. À leur départ et en l’absence de l’État, les chefs traditionnels n’ont pas été capables de préserver ni l’intérêt commun ni le vivre-ensemble dans plusieurs localités. Il ne s’agit ni d’une accusation ni d’un intérêt pour la pratique de la charia, mais d’un constat qui fait aussi dire que maintenir la justice dans l’idée de préserver l’intérêt commun, c’est avoir le moyen de faire face aussi à des formes de désorganisation ou d’évolution des sociétés ou des communautés, pour être explicite.
La décadence et l’obsolescence de l’État ne sont pas des solutions
Dans la situation actuelle, la meilleure façon de mettre en cause les intérêts individuels nécessaires au bon fonctionnement du système économique et l’intérêt commun, c’est d’atteindre une obsolescence ou à une décadence de l’État. Et on imagine assez la conséquence. C’est une situation d’échec social total. La société aurait donc échoué. La solution reste la régénération sociale et la régénération de la gouvernance. La régénération sociale rejoint l’idée d’une prise en main de la problématique sociale par de nouvelles personnes aptes à appliquer et faire perdure les pratiques sociales et traditionnels. On est donc plus sur une décadence mais une régénération et le résultat n’est pas le même. L’issue de la décadence est sombre et peu certain, chose difficile pour un seul individu qui serait encore peu prometteur pour une société dans son ensemble.
La régénération dans la gouvernance, quant à elle, n’est plus une option aujourd’hui dans l’idée d’éviter une obsolescence ou une décadence. Mais faut-il encore bien procéder. Il ne s’agit là de poser des indicateurs de recrutement, qui permettraient d’éviter encore un autre échec.