Repenser la laïcité est un devoir de cohérence et de sincérité dans la conduite des réformes politiques et institutionnelles, selon le politologue Ballan Diakité.
Parmi les grandes recommandations des Assises nationales de la refondation (ANR), le maintien de la forme républicaine et laïque de l’État est apparu comme l’une des exigences fortes de l’assemblée. Cette recommandation est, pourtant, la confirmation d’une constance constitutionnelle (1960, 1974, 1992). Cependant, la valeur constitutionnelle reconnue à la laïcité n’empêche pas les nombreuses distorsions dont elle fait l’objet dans le champ politique malien.
L’immixtion croissante des religieux dans les affaires politiques, durant les vingt dernières années, prouve à suffisance que la laïcité est bien en danger au Mali. D’où la nécessité d’une réflexion approfondie sur ce concept et sur les contours de son application plus ou moins tordue dans l’espace politique malien.
Repenser la laïcité à l’heure où l’on parle de l’absolue exigence de refondation de l’État est, avant tout, un devoir de cohérence et de sincérité dans la conduite des réformes politiques et institutionnelles.
Un débat politique et non juridique
En effet, dès le préambule de la Constitution du 25 février 1992, il est affirmé que le Peuple souverain du Mali « s’engage solennellement à défendre la forme républicaine et la laïcité de l’État ». L’article 25 de la même Constitution déclare que le Mali est une République laïque. L’article 118 est encore plus explicite : « La forme républicaine et la laïcité de l’État et le multipartisme ne peuvent faire l’objet de révision ».
Ces différentes dispositions constitutionnelles prouvent à suffisance que le constituant malien s’inscrit dans une logique d’affirmation pérenne du principe de laïcité dans le droit positif malien. La Constitution étant au sommet de la hiérarchie des normes, on en déduit que juridiquement le Mali est et demeure un État laïc et républicain.
Cependant, c’est sur le terrain politique que la laïcité s’avère une problématique inquiétante. La démocratie maquillée à l’œuvre depuis plus de trente ans ; la volonté machiavélique des hommes politiques à conquérir le pouvoir par tous les moyens ; la faillite de l’État et la mauvaise gouvernance sont autant de réalités qui ont propulsé au-devant de la scène politique des leaders religieux musulmans devenus rapidement un pivot incontournable dans le système politique malien. Dans ce contexte, la religion, au lieu d’être « l’opium des peuples » devient un véritable « catalyseur des peuples ».
Nécessaire redéfinition effective des frontières entre politique et religions
La société malienne est, dans son écrasante majorité, une société de croyants. A ce titre, la foi religieuse devient une force mobilisatrice. Les premiers à en avoir pris conscience sont les hommes politiques, permanemment en quête d’électeurs. Le jeu démocratique, fondé sur le vote comme mode de désignation par le peuple de ses représentants politiques, va vite amener les organisations religieuses à prendre conscience de leur véritable force populaire en périodes électorales.
C’est ainsi qu’à l’occasion des élections générales de 2002, un mémorandum fut établi par le collectif des Associations Islamiques du Mali comprenant « 99 mouvements de toutes sensibilisés ». Comportant 49 propositions rédigées le 5 avril 2002 et destiné aux partis politiques, ce mémorandum était une véritable charte politique pour le futur gouvernement qui sortirait des urnes.
Ce mémorandum constituait une véritable immixtion de la religion dans la vie politique par une définition du rôle de l’État. Il prévoyait « la relecture du code de la famille non plus par l’administration et l’État, mais cette fois-ci par un groupe de travail sous l’égide du Haut conseil islamique du Mali à partir de l’avant-projet élaboré par le collectif des Associations islamiques du Mali ».
En outre, le collectif estimait particulièrement nécessaire la révision de certains concepts, singulièrement celui de la laïcité. Cette dernière recommandation ne lève-t-elle pas tout doute sur l’intention des initiateurs ? Le fond du problème est bien la laïcité qui s’oppose à toute tentative d’islamisation de l’État malgré l’hégémonie de l’islam.
Par ailleurs, le concours des mouvements islamiques tels que Sabati 2012 a été d’un grand apport pour l’élection du président Ibrahim Boubakar Keïta (IBK) en 2013. Des consignes de vote ont été données aux fidèles dans les mosquées, dans les confréries et dans les cercles associatifs. Et, l’on se souvient qu’en 2020, ce sont les mêmes religieux musulmans qui ont participé activement à la chute du régime d’IBK.
Au regard de ces faits relevant de l’histoire politique récente du Mali, les autorités de transition doivent placer au cœur du processus de refondation de l’État, la problématique épineuse de la laïcité. Il faudra clairement redéfinir les frontières de sorte que le sacré évite incessamment de descendre au niveau du profane. L’islam et le christianisme constituent des ressorts d’équilibre pour la société. A ce titre, les deux confessions ont toujours agi face aux problèmes de la nation en toute solidarité en participant souvent au règlement des conflits sociaux (école, syndicat, etc.).
Ballan Diakité est politologue.