Des témoins et des victime intimidés, découragés ou même agressés, des investigateurs et défenseurs des droits humains chassés : des actes qui éloignent tout espoir d’avoir réparation. La solution passe par une loi de protection des victimes et témoins.
Il a reçu 3 balles au niveau de la cheville et 4 au niveau de la hanche : Modissamba Touré fait partie des victimes de l’attaque du 17 mai 2014, qui a visé le gouvernorat de la région de Kidal. Actuel président de la Coalition malienne des associations de victimes civiles, à l’époque il était le point focal du réseau des défenseurs des droits humains (RDDH) où il menait des enquêtes sur les violations, financées par l’ONG Freedom House.
Avoir une loi de protection, « c’est notre combat de longue date », dit-il. « Une victime ne peut témoigner si elle ne bénéficie d’aucune protection vis-à-vis de son bourreau qui l’écoute et qui peut la retrouver à tout moment », explique-t-il. Pour Touré, il faut une loi de protection pour que les victimes et témoins puissent avoir une garantie de défense et aider à leur tour l’État à rendre justice.
Insécurité et cohésion sociale mise à mal
Le Mali traverse depuis 2012 l’une des crises les plus graves de son existence. Elles ont pour conséquences l’insécurité grandissante et l’effritement de la cohésion sociale. Dans l’ensemble du pays, l’on assiste à une montée de la violence armée causant de nombreuses victimes, comme l’on a pu le voir au centre avec les violents épisodes d’Ogossagou ou Sobane-Da et même dans la première région administrative du Mali, Kayes.
En son article 1, l’avant-projet de la loi portant protection des dénonciateurs, des témoins des experts et des victimes en matière de répression des crimes et délits dispose que « l’objet […] est d’établir les normes, les procédures et mécanismes pour protéger tout dénonciateur, tout témoin, tout expert ou toute victime qui déposent dans le cadre d’un crime ou d’un délit. Il vise aussi à protéger celui qui, en raison de ses liens avec le dénonciateur, le témoin, l’expert ou la victime, peut avoir besoin de protection ».
Certes, l’adoption de la loi du 12 janvier 2018, portant protection des défenseurs des droits humains, est un grand pas vers l’obtention de la justice sociale. Néanmoins, une loi portant protection des victimes, lanceurs d’alerte et témoins est utile et même nécessaire. M. Aguibou Bouaré, président de la Commission nationale des droits de l’Homme (CNDH), pense que « cette loi permettra de mieux lutter contre l’impunité en ce sens qu’elle garantira une protection efficace aux victimes, témoins et dénonciateurs ». Il poursuit : « Elle contribuera à aider la justice à disposer de témoins crédibles et encouragera les victimes à ne pas garder le silence de peur des représailles des bourreaux. » Cependant, il insiste sur le fait de bien l’encadrer afin d’éviter des campagnes de délation et de dénonciations calomnieuses non fondées et portant atteinte, par ailleurs, aux droits fondamentaux d’autres personnes.
Renforcer la lutte contre l’impunité
Le Président de la CNDH ajoute que ce projet de loi est dans le « pipeline » au niveau du ministère de la Justice et des Droits de l’Homme, qui a entrepris beaucoup de réformes ces derniers temps. Il dit avoir bon espoir que ce texte sera actualisé pour renforcer la lutte contre l’impunité.
Les acteurs de la société civile, surtout les organisations de défense des droits de l’Homme, pourraient jouer un rôle primordial à travers la sensibilisation et le plaidoyer ainsi que les mécanismes institutionnels de garantie des droits de l’Homme.
L’ONG Terre des Hommes, à travers le projet pour la promotion des droits humains et de l’espace civique (ProDHEC), a également pris des initiatives pour l’obtention d’une loi portant protection des victimes et témoins. Selon le chef du projet, Aliou Mahamar Haïdara, la protection des victimes et témoins est au centre des actions de l’ONG qui a même mis en place un groupe de travail pour la protection des victimes et témoins au Mali. « Il constitue un espace d’interaction et a pour mission d’analyser la situation juridique et politique sur la protection des victimes et témoins, d’identifier les manquements et lacunes existants dans le cadre législatif et politique national et d’évaluer la transposition et l’application des engagements régionaux et internationaux de notre état.», conclut-il.