Entre engagement et prudence : les leçons de l’activisme en ligne au Mali
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Entre engagement et prudence : les leçons de l’activisme en ligne au Mali

Sur fond de tensions sociales et politiques, une nouvelle génération de jeunes Maliens et Maliennes s’empare des réseaux sociaux pour en faire des espaces d’expression et de mobilisation citoyenne. À travers des hashtags engagés, ces activistes misent sur le numérique pour promouvoir un Mali plus juste et plus pacifique, malgré les obstacles structurels et les défis sécuritaires qui continuent de freiner leurs aspirations.

Sur les écrans de Bamako, Tombouctou ou Kayes, les mots-clés s’enchaînent, parfois discrets, parfois viraux : #MaliVote, #AnTèAbaNa, #JeSuisTombouctou. Derrière ces formules condensées, une jeunesse malienne qui croit en la construction d’un Mali plus juste et plus inclusif. Un phénomène mondial, mais qui, au Mali, s’adapte à une société où la fracture numérique côtoie une jeunesse connectée, avide de changement.

C’est à partir d’une réflexion menée par la fondation Tuwindi, pionnière dans la promotion du numérique citoyen, qu’a émergé l’idée d’une formation sur le hashtag activisme et la transformation des conflits, qui a eu lieu du 1er au 2 octobre à l’Hôtel Salam à Bamako. Pour la directrice des opérations Hawa Coulibaly, « les tensions sociales, politiques et sécuritaires du Mali se répercutent désormais aussi dans les espaces numériques qui deviennent à la fois des lieux d’expression, de confrontation et de mobilisation ». « Dans ce contexte, Tuwindi a voulu explorer comment le numérique, souvent perçu comme un facteur de polarisation, peut au contraire devenir un levier de transformation positive des conflits. »

Des symboles qui mobilisent

L’initiative, co-construite avec Think Peace, s’adresse aux jeunes journalistes et activistes. « Un hashtag, à lui seul, ne change pas la société, mais il crée de la visibilité, ouvre le débat et exerce parfois une pression citoyenne », poursuit Hawa Coulibaly.

Les campagnes #TouchePasAMaConstitution ou #AnTèAbaNa, menées en 2017, en sont des exemples emblématiques. Ces mobilisations numériques avaient accompagné des manifestations populaires, illustrant la porosité entre le monde en ligne et la rue.

Pour Baba Mahamane Tandina, juriste et poète engagé, ces mouvements ont ouvert la voie à une nouvelle génération d’activistes. « J’ai compris que les hashtags pouvaient être de véritables catalyseurs de débat et de mobilisation, à condition d’être bien pensés et bien portés. »

Selon lui, « un hashtag est efficace quand il est simple, collectif et ancré dans un contexte réel. Le hashtag n’est qu’un point d’entrée : ce sont les gens et les actions qui lui donnent vie ». Des campagnes comme #Lamairieselonmoi ou #Moveforwomen, auxquelles Baba Mahamane Tandina a participé, lui ont « permis de toucher un public plus large et de créer une conversation collective autour de valeurs positives. »

Des freins structurels, culturels et politiques

Pourtant, l’activisme numérique malien peine à se généraliser. Les freins sont multiples. « La fracture numérique limite la portée des campagnes », observe Hawa Coulibaly. L’accès à Internet reste inégal, particulièrement dans les zones rurales, et le coût de la connexion demeure prohibitif pour une large partie de la population.

À ces contraintes matérielles s’ajoute une certaine méfiance. « Beaucoup doutent que leur voix puisse être entendue en ligne », note-t-elle. Assetou Founè Samaké, journaliste et militante pour les droits des femmes, évoque un autre obstacle : « Au Mali, beaucoup d’internautes ne comprennent pas encore ce qu’est un hashtag ou comment il s’utilise. C’est un défi pour les militants. »

La loi sur la cybercriminalité, adoptée pour encadrer les abus en ligne, est souvent perçue comme une épée de Damoclès. « Il y a des arrestations liées à des publications. Du coup, ça freine l’activisme numérique parce que les gens ont peur d’intervenir ou de réagir, ça freine la liberté d’expression », ajoute la journaliste.

Dans ce contexte, la prudence devient une seconde nature : la plupart des activistes interrogés évoquent la nécessité d’un ton mesuré, de vérifications rigoureuses, voire d’une forme d’autocensure stratégique.

Des voix qui s’élèvent

A Tombouctou, Tidiani Ascofaré, jeune entrepreneur et acteur communautaire, observe le même phénomène :« Un hashtag peut réellement faire bouger les lignes quand il s’accompagne d’actions concrètes. » Selon lui, la campagne #JeSuisTombouctou a permis de « mettre en lumière les défis sécuritaires et socio-économiques de la région tout en valorisant la résilience de ses habitants ».

Ascofaré considère que l’efficacité d’un hashtag tient à sa capacité à relier les mondes : celui du numérique et celui du terrain. « Un hashtag seul ne suffit pas. Il doit être soutenu par une communauté, des contenus visuels, des témoignages, et une stratégie claire. »

Même constat chez Souleymane Maïga, juriste et défenseur des droits humains : « Les hashtags peuvent devenir de vrais outils de cohésion sociale, à condition de les utiliser dans le bon sens, celui de la sensibilisation et du dialogue. »

Réinventer l’espace numérique comme lieu de paix

Au-delà des campagnes ponctuelles, un changement de culture est en marche. Les activistes malien·ne·s, qu’ils soient artistes, journalistes ou entrepreneurs, plaident pour un numérique responsable, inclusif et porteur de sens.

Pour Hawa Coulibaly, la clé réside dans la confiance numérique : « Pour que le hashtag devienne un outil de cohésion et de plaidoyer, il faut renforcer la confiance numérique : former, sécuriser et valoriser les voix citoyennes. » « Le numérique doit être pensé comme un espace commun, où la différence d’opinion n’est pas une menace, mais une richesse pour la paix et la pleine participation citoyenne », ajoute-t-elle.

Tous s’accordent sur un point : le numérique ne doit pas être un champ de bataille, mais un espace commun de dialogue.

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