« Les missions de maintien de la paix servent d’autres causes » : rencontre avec Minkoro Kané, conseiller au CNT
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« Les missions de maintien de la paix servent d’autres causes » : rencontre avec Minkoro Kané, conseiller au CNT

Connu pour son franc-parler, Minkoro Kané, général de brigade à la retraite, a vécu toutes les crises sécuritaires qui ont secoué le Mali au cours des quarante dernières années. Il porte sur celles-ci des jugements tranchés.

« J’étais chargé d’apporter leur repas de midi à ceux qui travaillaient au champ. S’il en restait un peu après qu’ils ont fini, je mangeais. Dans le cas contraire, je retournais en classe le ventre vide. », raconte Minkoro Kané lorsqu’il évoque les souvenirs qu’il garde de son enfance. Beaucoup d’enfants ont certainement vécu, comme lui, le manque de nourriture chez leurs logeurs, ces derniers étant pour certains démunis. Kané est confronté à d’autres réalités de la vie lorsqu’il est envoyé à Koumantou pour poursuivre sa scolarité.

Haute taille, carrure imposante, loquace et affable, Minkoro Kané est né vers 1957 à Garalo, dans la région de Bougouni, où il a passé sa tendre enfance. Il rappelle, avec une certaine émotion, sa prime jeunesse : l’enseignement coranique suivi jusqu’à l’âge de 6 ans, puis ce que l’on appelait à l’époque « l’école des Blancs », les travaux champêtres comme « gardien des champs » et surveillant du parc à bétail familial. Une enfance qu’il juge comblée et qui, selon lui, ne pouvait que le mettre sur la bonne voie.

Goût des armes et amour de l’armée

Quand nous lui demandons ce qui l’a poussé vers une carrière militaire, il répond en souriant : « Je suis presque né avec le goût des armes et l’amour de l’armée. J’en rêvais. » Le déclic arrive véritablement à l’âge de 13 ans, lors d’une manœuvre militaire dans son village natal où un militaire lui fait tirer un Canon anti-aérien de 85 mm. « Ce jour-là, ma conviction s’est définitivement ancrée », dit-il.

Un jour, en 1969, il se rend à l’état-major des armées pour en rencontrer le chef. Demande peu usitée, qui le fait promener de bureau en bureau, avant de finir tout de même dans celui qu’il recherchait. « C’était Boucary Sangaré, se souvient-il. Je ne me rappelle plus exactement son grade. Il était soit commandant, soit lieutenant-colonel. Je lui ai dit que je voulais entrer dans l’armée. Il m’a suggéré de terminer le lycée et de faire ensuite le concours d’entrée à l’École militaire interarmes pour devenir officier. »

Schéma suivi à la lettre : l’élève Minkoro passe en 1972 d’abord son baccalauréat, puis le concours d’entrée à l’EMIA de Kati. La formation commence le 1er octobre 1972 et devait se terminer le 16 octobre 1975. Mais elle est interrompue en 1974 par la guerre entre le Mali et la Haute-Volta (actuel Burkina Faso).

Les élèves-officiers sont mobilisés. Minkoro Kané rejoint le front au sein des unités de combat du Groupement temporaire N° 2, basé à Gossi. Après deux mois, le Groupement replie sur Gao et l’élève-officier est affecté aux unités du Groupement opérationnel temporaire N° 1, en qualité d’adjoint au commandant de compagnie. Après neuf mois au front, il retourne sur les bancs pour terminer son cycle de formation.

Gendre de militaire

Kané ne le cache pas : cette guerre entre pays africains lui « faisait honte » : « A l’époque, je ne pouvais pas comprendre que des Africains se fassent la guerre alors que l’ennemi commun était l’ancien colonisateur et ses envoyés, dit-il. Ils ont rendu sciemment litigieuse cette frontière héritée de la colonisation et nos chefs d’État sont tombés dans le piège. »

Le général ne cache pas non plus que de nombreux aspects de sa vie personnelle, même s’ils n’ont rien de militaire, tournent autour du camp. C’est dans un camp militaire qu’il a rencontré sa première épouse. Cette dernière est la fille adoptive d’un officier chez qui Minkoro Kané passait après ses heures de service. « La vie dans le camp, elle la connaissait déjà », commente-t-il avec une pointe de taquinerie. Les enfants, au nombre de quatorze dont cinq garçons, ont, eux également, grandi dans le camp militaire.

Convictions ancrées

En 1990, en tant que chef opérationnel du secteur de Ménaka, le général affronte la rébellion au Nord. Objectif : imposer la paix. Le 29 juin 1990, il tombe dans une embuscade et perd 2 hommes, un véhicule 4×4 et 4 millions de francs CFA de prime globale alimentaire des soldats. « Moussa Traoré a exigé qu’il rembourse tout ce qu’il a perdu et avait même promis de le radier », confie l’adjudant Mahamadou Sinayoko.  « Depuis cette opération, Kané est vu comme un héros à Ménaka », témoigne le major à la retraite Youssouf Mohamed Lamine Cissé, président des anciens combattants de Ménaka.

Hors du Mali, Minkoro Kané est nommé, en 1992, chef du contingent malien au Libéria. « Trop de manipulations et trop de desseins inavoués », tel est le seul commentaire que nous obtenons de Minkoro Kané sur cet épisode de sa vie. Le reste appartient au devoir de réserve que lui impose le rôle qu’il a joué.

En pleine opération en Sierra Léone, une menace surgit et qui concerne cette fois-ci Tombouctou. Le Front islamique arabe de l’Azawad préparait une attaque imminente. Le général est rappelé pour gérer cette crise en tant que commandant de zone, avec pour mission « de sauver la paix et, dans le pire des cas, de l’imposer par le feu ». Mission réussie :  la paix est revenue dans la zone après discussion avec le groupe.

En 1999, Minkoro Kané est désigné chef du contingent malien composé de 500 hommes envoyé en Sierra Léone. C’était dans le cadre de l’Economic Community of West African States Cease-fire Monitoring Group (ECOMOG) ou Brigade de surveillance du cessez-le-feu de la Communauté économique des Etats de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO). « Détail extrêmement important, se souvient-il, la population a apprécié très positivement nos actions. Plus de vingt ans après, les mérites du contingent malien restent dans la mémoire sierra-léonaise et alimente un préjugé positif à l’égard de nos compatriotes qui vivent dans ce pays. » Pour le général Minkoro Kané, l’une des clés de la réussite des missions qu’il a conduites est le combat. Commandant Bouyani Coulibaly, président des anciens combattants de Kati, a servi sous les ordres général Minkoro Kané en Sierra Leone en tant que spécialiste en armement blindé et infanterie. « Nous partons à la guerre et non pour un maintien de la paix, donc prenez ce que vos ancêtres vous ont donné, c’est-à-dire les gris-gris », est la première instruction qu’il donne à ses hommes. Il y perd 8 hommes et plusieurs véhicules. « La perte de plusieurs BRDM 2 en Sierra Leone a fait beaucoup de mécontents dans les rangs au pays. C’était le peu d’équipements lourds qu’on avait qu’il n’a pas pu préserver », déplore l’adjudant Mahamadou Sinayoko.

A son retour de Sierra Leone, le président Alpha Oumar Konaré le nomme gouverneur de Kayes (1999-2003) où une crise sécuritaire persiste depuis 1989. Elle sera résolue en 45 jours en collaboration avec les autorités du Sénégal et de la Mauritanie, deux pays où les bandits armés qu’il avait identifiés étaient aussi recherchés. Le rétablissement de la sécurité permettra de loger une partie de la CAN 2002 à Kayes alors que la ville était au départ exclue de la grande fête du football. Juste récompense de l’histoire, c’est dans la Cité des rails que les Aigles obtiennent une victoire probante contre l’Afrique du Sud (2/0 en quarts de finale).

Lorsqu’il lui faut parler de toutes les missions de maintien de la paix actuelles, Kané se montre particulièrement incisif. « Elles servent principalement d’autres causes », soutient-il. Il prend comme exemple la Mission multidimensionnelle intégrée des nations unies pour la stabilisation au Mali (MINUSMA), dont l’objectif est d’aider à ramener la paix. « Est-ce que ses efforts sont uniquement orientés vers ce but ? Je dis non à haute et intelligible voix », lance le général. Il fait remarquer que 62 États impliqués, environ 25 000 militaires disposant des équipements ultramodernes n’ont obtenu sur le terrain aucun résultat tangible contre 3 000 djihadistes. Cela parce qu’ils n’ont juste pas voulu combattre ces hommes armés, selon lui. « Il faut noter, relève l’officier, que le chef de fil de cette opération était la France. Les autres sont tous venus sous sa bannière pour aider le Mali : Barkhane, MINUSMA, Takuba, G5 Sahel. Malheureusement, ce sont ces mêmes qui essayent de nous combattre aujourd’hui à travers des embargos et autres sanctions sachant bien que le pays traverse des difficultés ».

Sur cette question de sécurité, le général exprime des convictions bien ancrées. Pour lui, si l’on veut que l’Afrique se développe, soit libre, il est impératif pour les pays africains de se doter de moyens propres afin de pouvoir mener des opérations sur leur sol.

Le rétablissement de la paix passe donc par l’équipement des forces de défense, argue Minkoro Kané, pour qui cet objectif, pour être atteint, nécessite que nous puissions selon les circonstances faire usage de la carotte ou du bâton.

Kané se montre volontiers prolixe sur toutes les insuffisances auxquelles la Transition doit porter remède pour assurer au Mali un avenir stable. D’où l’importance de l’attention portée au toilettage des textes fondamentaux, les efforts déployés pour contrer l’influence des groupes qualifiés de djihadiste et l’éducation de la jeunesse au patriotisme

Pour relever ces défis, le Conseil national de transition (CNT) aura un rôle essentiel à jouer. Pour son intégration à l’organe législatif, le choix s’est porté logiquement et unanimement sur Kané pour deux raisons aussi essentielles. La première liée à sa fonction de président de l’Association nationale des anciens combattants, veuves et victimes de guerre du Mali (ACVGM). La seconde : il a vécu toutes les crises du Mali de ces quarante dernières années et que son expérience rendrait précieux ses avis.

Alors que nous prenons congés, nous trouvons à la sortie une trentaine d’hommes qui attendaient. L’un d’eux nous explique qu’une crise était sur le point d’éclater dans le village natal du général et qu’ils venaient solliciter ce dernier afin qu’il s’investisse pour trouver des solutions avant que le pire n’arrive.

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