Pour le politologue Ballan Diakité, au lieu de réduire le nombre des partis politiques au Mali, il faudrait les amener à remplir leurs fonctions sociales et réorienter le financement public qui leur est destiné.
A l’issue des Assises nationales de la refondation (ANR), il est sorti des grandes recommandations retenues, au titre des reformes « politiques et institutionnelles », l’idée de « la réduction du nombre des partis politiques à travers l’imposition de conditions restrictives de création » de ceux-ci.
Si cette recommandation apparait comme légitime, au regard de l’explosion anarchique des partis politiques, force est de constater qu’elle ne révèle pas en réalité le fond du problème. La vraie question, la seule qui importe d’ailleurs, est de savoir comment rendre les partis politiques utiles à la société. En d’autres termes, comment renforcer l’utilité sociale de ces entreprises politiques que nous appelons communément « partis politiques ». C’est là la grande problématique. Et à ce titre, une simple restriction des conditions de création des partis politiques ne permet pas de résoudre efficacement le problème.
Raison pour laquelle nous devons davantage nous interroger. Comment encadrer rigoureusement la création des partis politiques tout en renforçant leur utilité sociale au grand bonheur des citoyens ? Résoudre cette équation nécessite une réflexion approfondie sur la formation, l’organisation, les financements ainsi que les missions des partis politiques.
En finir avec la personnification des partis politiques
A la suite de l’article 2 de la loi 05-047 du 18 aout 2005 portant Charte des partis politiques, ceux-ci sont définis comme « des organisations de citoyens unis par un idéal, prenant la forme d’un projet de société, pour la réalisation duquel ils participent à la vie politique par des voies politiques ».
Les partis politiques sont donc, avant tout, un ensemble d’hommes et de femmes réunis pour promouvoir des idées communes et pour conquérir le pouvoir. Le malheur de la vie politique malienne réside dans le fait que des partis sont créés non pas pour promouvoir des projets de société, mais plutôt pour faire la promotion d’un homme, le président fondateur du parti, autour duquel sont construits tous les projets du groupe.
Cette personnification des partis est un fléau majeur pour la viabilisation de la vie démocratique malienne pour deux raisons : d’une part, elle créée une situation de dépendance au sein du parti et abrège sa longévité dans le temps ; et d’autre part, elle ne favorise pas le recyclage normal et régulier de la classe politique. Raison pour laquelle, depuis trente ans, c’est la même classe politique qui gouverne le Mali avec la même méthode (« la politique du ventre ») et les mêmes pratiques (achat de voix, fraudes électorale, corruption etc.). Les partis doivent être au service de la société au moyen des causes qu’ils défendent et de l’offre politique qu’ils proposent aux citoyens.
En finir avec le financement public des partis politiques
Au-delà de la personnification et de l’absence d’idéologie, l’une des raisons supplémentaires de la prolifération désordonnée des partis politiques réside dans l’existence d’un mécanisme de financement public à leur endroit. L’un des moyens efficaces pour faire face à cette inflation du nombre des partis politique serait de suspendre définitivement le financement public de l’État.
Chaque année, le Mali alloue aux partis politiques 0,2% du budget national, conformément à l’article 29 de la loi 05-047 du 18 aout 2005. De 2013 à 2018, l’État a financé les partis politiques à hauteur de 14 380 110 440 francs CFA. Plus de 14 milliards ! Ce montant aurait pu être utilisé pour financer des infrastructures de santé, d’éducation et même routières. Ces infrastructures auraient pu avoir un impact réel sur les conditions de vie socioéconomique des populations. Hélas !
Cet investissement public dans les partis politiques n’est pas productif, car il n’y a pas de retour sur investissement. Ils sont bien rares les partis politiques qui font un travail d’éducation politique des citoyens, à travers notamment des formations civiques en faveur des populations locales. Or, en principe, ce que l’on appelle en science politique « la fonction tribunitienne » des partis politiques consiste en leur capacité à porter la voix les préoccupations et les aspirations des populations locales.
La triste réalité au Mali est que les populations ne se reconnaissent pas dans ces partis politiques. D’où le désaveu général de ces « professionnels politiques » au profit des militaires actuellement au pouvoir.
En somme, il ne suffit pas de restreindre les conditions de création des partis politiques pour faire face à leur prolifération. Il faudrait surtout penser à des mesures concrètes : par exemple, les amener à remplir pleinement leurs fonctions sociales d’éducation et de formation politique des citoyens et à réorienter vers la satisfaction des besoins socioéconomiques le financement public destiné au partis politiques.
- Ballan Diakité est politologue.