Au Mali, dans le cadre de la lutte contre le Covid-19, le Conseil national des prix avait recommandé au gouvernement de fixer des heures d’ouverture et de fermeture concernant les centres et autres surfaces commerciales. À Kayes, cette recommandation ne semble pas avoir recueilli l’adhésion des commerçants.
Lors de sa session ordinaire du 2 avril dernier, sous l’égide du ministre de l’Industrie et du Commerce, Mohamed Ag Erlaf, le Conseil national des prix avait recommandé que les marchés, les supermarchés et les alimentations ouvrent à 6h du matin pour fermer à 16h. Les pharmacies, les stations, les boulangeries et les boutiques de quartiers devaient ouvrir de 6h à 20h. La mesure est drastique pour les foires en milieux ruraux : 6 h à 14 h.
Les commerçants jugent non seulement cette décision inefficace contre le Covid-19, mais aussi estiment qu’elle engendrerait d’énormes pertes financières avec des conséquences graves sur les populations, notamment à Kayes. En attendant la probable application de cette mesure, les commerces restent ouverts jusqu’à 21h, début du couvre-feu.
Mise en chômage
Si cette mesure venait à être appliquée, plusieurs revendeurs verraient leurs activités à l’arrêt, selon L. Sylla, commerçant détaillant d’ustensiles en plastique et d’autres produits dérivés au grand marché de Kayes. Chaque matin, une vingtaine de revendeurs ambulants viennent s’approvisionner dans sa boutique. Le boutiquier donne les prix et les enregistre. À pieds ou à vélo, ces marchands ambulants descendent dans la ville en faisant du porte-à-porte. De 15h jusqu’à 19h, ils regagnent le magasin pour faire le compte. Les produits non écoulés reviennent au boutiquier et le revendeur rentre à la maison pour revenir le lendemain.
Selon M. Sylla, en cas d’application de cette mesure, ils ne pourront plus leur donner leurs produits, car il leur sera difficile de faire le compte à temps. Autre conséquence : la perte de beaucoup de clients. Avant cette décision, chaque fois que M. Sylla fermait sa boutique à 16h pour d’autres raisons, il s’attendait à une perte qui varie entre 80 000 francs CFA et 100 000 francs CFA pour le reste de la journée. Il est convaincu que le manque à gagner sera considérable, s’il devait fermer tous les jours à 16h.
Même constat chez R. Traoré, qui a une place de vente de bouillie au grand marché de Kayes. Pour elle, l’application de cette mesure l’exclurait du marché et la mettrait au chômage. Elle indique que son commerce commence à partir de 16h depuis plusieurs années : « Si le marché fermait à 16h, cela voudrait dire que je dois rester à la maison alors ».
Pertes pour les commerçants
Comme partout au Mali, les commerçants détaillants sont réunis au sein du Syndicat national des commerçants détaillants du Mali (SYNACODEM). Souleymane Diarra en est le président à Kayes. Pour lui, le gouvernement et la Chambre de commerce et d’industrie ont recommandé cette mesure contre la volonté du syndicat des commerçants détaillants. « Si c’est pour lutter contre le coronavirus, le mal serait déjà fait à 16h, car les gens s’assemblent et se bousculent durant toute la journée », fait-il remarquer.
Selon ce syndicaliste, c’est un problème de plus car le couvre-feu engendre déjà d’énormes pertes pour les commerçants. « Ils sont beaucoup qui vendaient pendant la nuit. Mais actuellement, ils ne peuvent plus rester dans les boutiques au-delà de 21h ». Il estime que si la décision était appliquée, beaucoup de commerçants seraient dans l’incapacité de payer les locations des magasins. Souleymane Diarra, éboueur, ajoute : « Au grand marché de Kayes, nous éboueurs, travaillons la nuit. Avec le couvre-feu, nous ne pouvons pas le faire. »
Décision non encore contraignante
Pour sa part, la direction régionale du commerce, de la consommation et de la concurrence explique qu’elle n’a pas reçu d’instruction ferme pour mettre en application cette mesure. Elle révèle qu’au niveau régional son exécution passe d’abord par l’implication du gouverneur de la région, de la mairie et des forces de l’ordre. La direction régionale ne serait que le service technique qui appuie les autorités administratives et communales.
Le président de l’Association des consommateurs à Kayes, M. Sissoko, n’est pas favorable à cette mesure : « Il faut laisser aux consommateurs la liberté d’acheter au moment où ils veulent et là où ils veulent. On ne veut pas l’expansion de la maladie, mais on veut qu’il y ait une certaine liberté de mouvement. »
Si le gouvernement souhaite appliquer cette mesure, il serait mieux qu’il y ait un accompagnement à l’endroit des commerçants. L’exonération de la taxe sur la valeur ajoutée (TVA) pourrait diminuer leur charge. Sans cela, beaucoup de boutiquiers risquent d’être expulsés de leurs magasins pour non-paiement du loyer.