Mali : une école d’art pour les déficients auditifs, s’il vous plait !
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Mali : une école d’art pour les déficients auditifs, s’il vous plait !

Grâce à « Parole de corps », un projet artistique, les jeunes déficients auditifs maliens ont pris goût à la danse et au théâtre. Ils souhaiteraient avoir une école d’art afin de pouvoir exprimer tout leur potentiel.

Les efforts d’Adama Bambara sont remarquables. Il saute, se courbe, bouge la tête et les pieds en même temps que ses amis. Aucun détail de la chorégraphie ne lui échappe. Âgé de 10 ans, il est le plus jeune de la troupe de danse du projet « Parole de corps », composée d’une vingtaine d’adolescents. Tous des sourds-muets issus des écoles pour déficients auditifs (EDA) de Bamako, Ségou et Koutiala.

Le petit Adama et ses camarades sont fatigués. Ils poursuivent tout de même la répétition sous l’œil attentif du chorégraphe Yayous Bakanu Sanu. « Nous n’avons plus que deux jours avant la restitution. C’est plus que jamais le moment de corriger les petites imperfections », déclare le mentor.

Maitres du mouvement

Un quart d’heure après, une pause de 10 minutes est accordée. Le petit Adama peut enfin soupirer. « C’est fatiguant mais j’aime.», témoigne-t-il en langue des signes via un traducteur. Grace à ce projet, Adama confie avoir compris que son handicap n’est pas une fatalité.

Le projet Parole de corps est une initiative de Daouda Keita, chorégraphe professionnel, fondateur de la compagnie Famu Danse, une association culturelle créée en 2017 à Bamako. En 2018, l’artiste s’était rendu à l’école pour déficients auditifs de Bamako. Après un long échange avec les élèves, il a découvert quelque chose de si naturel et de captivant dans la langue des signes, dit-il, que l’idée de se perfectionner auprès d’eux lui vint à l’esprit : « Un bon danseur doit être le plus naturel possible dans ses mouvements. Les malentendants ont déjà ce naturel, car ils se familiarisent avec le mouvement depuis tout petit. Ils en sont les maitres et nous les handicapés », dit-t-il.

Performance des jeunes déficients auditifs, lors de la restitution du projet Parole de corps ( Adama au milieu )
Performance des jeunes déficients auditifs, lors de la restitution du projet Parole de corps ( Adama au milieu )

« Ne négliger personne »

Au Mali, l’insertion socioprofessionnelle des jeunes handicapés demeure un véritable casse-tête. Beaucoup n’ont pas la chance de terminer les études : 90% des jeunes déficients auditifs s’arrêtent juste après le diplôme d’études fondamentales (DEF), témoigne M. Balla Keita, ancien directeur de l’école pour déficients auditifs de Bamako.

L’explication que donne l’ancien directeur est que ces jeunes ne sont pas accompagnés. « Lorsqu’ils arrivent au lycée, ils peuvent se retrouver dans des salles de classe d’une quarantaine d’élèves et être les seuls déficients auditifs. Ça devient alors difficile pour eux de suivre les cours au même rythme que leurs camarades, car les professeurs ne comprenant pas la langue des signes. »

Ainsi, ces enfants voient leurs droits les plus élémentaires bafoués. Une situation qui complique davantage l’un des objectifs principaux du programme 2030 des Nations unies. En 2019, à l’occasion de la journée mondiale des personnes handicapées, António Guterres, Secrétaire général de l’ONU, déclarait à juste titre : « Garantir les droits des personnes handicapées, c’est être fidèle à la promesse qui est au cœur du programme 2030 des Nations unies: ne négliger personne ».

Pas d’évolution malgré les plaidoyers

L’école pour déficients auditifs de Bamako, créée en 1993, ne comprend que trois niveaux : la maternelle, le fondamental et le lycée. Grace aux efforts de l’Association malienne des sourds (AMASOURDS), elle permet aux jeunes déficients auditifs d’avoir accès à l’éducation de base.

AMASOURDS se bat, depuis de longues années, pour garantir l’accès à l’éducation aux déficients auditifs. « C’est toujours compliqué, affirme M. Demba Diallo, président du comité de gestion de l’école pour déficients auditifs de BamakoMalgré nos plaidoyers auprès des autorités, rien n’a changé. Tant que les enfants ne seront pas accompagnés de traducteurs au lycée, ça sera difficile pour eux d’avancer. »

Très peu d’entre eux accèdent à l’université : « À cause de leur handicap, ils sont nombreux à ne pas dépasser le lycée. Ils se retrouvent alors sans qualification et leur insertion dans la vie professionnelle devient très compliquée », selon Demba Diallo.

Inclure les déficients auditifs

Depuis la mise en place de ce projet, les jeunes bénéficiaires ont retrouvé le sourire. Ils pensent qu’avec une école d’art, ils auront l’occasion de mieux apprendre.

L’organisation humanitaire VOICE, en 2019, a salué l’initiative en décidant de la soutenir à hauteur de 97 millions de francs FCA. Un volet théâtre, dirigé par l’association Kuma Sô Théâtre, a été créé : la danse étant toujours assurée par Famu Danse de Daouda Keita : « Le projet nous a séduits. Quand Daouda nous a approchés, nous avons jugé la cause tellement noble que, sans réfléchir, nous avons accepté de la soutenir. On souhaite d’ailleurs faire de Parole de corps un festival », explique Sitan Coulibaly, responsable lien, apprentissage et communication Voice à Oxfam.

« Ces jeunes, dans leur communauté, sont généralement marginalisés. À travers ce projet, ils ont compris qu’avec l’art, ils peuvent s’affirmer et s’insérer dans la vie socioprofessionnelle », résume Daouda Keita. Adama Bambara, quant à lui, est rassuré d’avoir trouvé sa voie : « Je veux être un grand danseur comme mes maitres Daouda et Yayous. Avec une école d’art, je crois fermement que j’y parviendrai », espère l’adolescent.

Adama Bambara en performance solo
Adama Bambara en performance solo

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Les commentaires récents (3)

  1. Excellent papier qui résume parfaitement la difficulté que traversent les déficients auditifs.

    Espérons que les autorités réagiront. Une école d’art, ce n’est pas trop demander.

    Merci beaucoup !