Au Mali, beaucoup de femmes apprécient le couvre-feu instauré depuis le 26 mars, de 21h à 5h du matin. Cette mesure de restriction a été prise suite à l’apparition des premiers cas positifs au coronavirus dans le pays. Le couvre-feu a redonné un nouveau souffle sentimental à des couples qui ne connaissaient que peu de moments de tendresse.
Certains hommes sortent très tôt le matin et rentrent tard le soir, lorsque leurs épouses et leurs enfants sont déjà dans les bras de Morphée. Kadiatou Lah est une femme au foyer. Elle est mariée depuis une dizaine d’années à Alpha, un riche homme d’affaires. Cette ménagère, habitante du quartier populaire de Badalabougou, a chaleureusement accueilli le couvre-feu décrété pour freiner la propagation de la pandémie du coronavirus.
L’enthousiasme de Kadiatou n’est pas inspiré par la crainte du virus redouté. «Je vais enfin connaitre une vie de couple normale comme dans beaucoup de ménages, profiter de la présence de mon homme, le voir jouer avec les enfants. Je ne peux pas vous dire tout le bien que cela me fait», raconte Kadiatou en souriant.
« Vie de couple sacrifiée »
«Depuis des années je n’ai plus ces moments de tendresse dans mon foyer. Il a sacrifié notre vie de couple pour son activité. J’ai essayé de m’en remettre avec toutes les peines du monde. J’ai eu des enfants avec lui. Et, il y a la pression de la famille pour étouffer ma rébellion », lance la ménagère de 36 ans et mère de quatre enfants.
Son mari, qui ne rentrait qu’au petit matin, s’est plié malgré lui aux mesures sécuritaires. Au début de ce régime spécial, l’atmosphère était plutôt tendue au sein du couple. Au bout de quelques jours, « on s’est habitués à notre nouvelle situation », confie Kadiatou qui espère voir durer ce changement d’attitude de son conjoint. Puis, elle ajoute : « On se redécouvre comme deux nouveaux amants ».
« Un mari villageois »
Comme Kadiatou, elles sont nombreuses à Bamako ces femmes qui vivent une sécheresse émotionnelle au sein de leurs foyers par l’absence prolongée du mari. Soumbou, elle, a la chance d’avoir un « mari villageois », comme sont désignés dans la capitale malienne ceux qui ne fréquentent pas les « grins » et autres lieux de distraction, qui ont baissé leurs rideaux pour prévenir la maladie. Elle salue quand même la décision des «faama », (« les autorités », en langue locale bamanankan») en guise de solidarité, dit-elle, à ses amies qui, au dehors, donnent l’apparence d’une vie de couple heureuse. Alors qu’elles sont rongées intérieurement par l’absence du partenaire.
La présence d’un mari a un impact certain sur l’éducation des enfants et l’équilibre familial, affirme la commerçante. D’aucuns ne savent rien de leurs enfants. Ces derniers grandissent en l’absence d’une autorité parentale pourtant indispensable pour leur construction mentale, témoigne notre interlocutrice.
Des états-généraux sur la famille au Mali
Des voix s’élèvent au sein de la gente féminine pour demander le prolongement du couvre-feu, même au cas où le risque de propagation de la maladie serait écarté. Toutefois, dans un pays de droit, ce genre de restrictions est limité dans le temps. Elles ne doivent et ne sauraient perdurer au-delà de la menace de santé publique.
A mon avis, ce qui pourrait être envisagé après la crise sanitaire, ce sont peut-être des états-généraux sur la famille au Mali. Pour corriger enfin les tares de cette institution qui ne joue plus son rôle. Aller au-delà du cadre restreint d’intimité du couple pour lever le voile sur les problématiques réelles et urgentes autour de la famille pour espérer une société digne de ce nom.