Au Niger, le sort précaire de Moussa Tchangari et des voix discordantes
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Au Niger, le sort précaire de Moussa Tchangari et des voix discordantes

Cet éditorial a été initialement publié sur Afrique XXI.

Ce mardi 3 décembre, Moussa Tchangari, secrétaire général de l’association Alternative Espaces Citoyens (AEC), a été violemment arrêté chez lui et amené, les yeux bandés, vers une destination inconnue. Moussa Tchangari revenait d’un voyage dans un pays de la sous-région ; les hommes armés qui ont fait irruption chez lui alors qu’il retrouvait sa famille ont également emporté son téléphone, son ordinateur et sa valise. Confinée, la famille a subi des intimidations pendant plusieurs heures.

Après deux jours d’incertitude quant à son lieu de détention, on a appris qu’il était gardé à vue au Service central de lutte contre le terrorisme et de la criminalité transnationale organisée à Niamey. Il pèse sur lui de lourdes accusations : « apologie du terrorisme »« atteinte à la sûreté de l’État » et « association de malfaiteurs en lien avec le terrorisme », selon un communiqué de l’AEC.

Cette arrestation est la dernière d’une série qui a commencé depuis quelque temps au Niger. Avant lui, Ousmane Toudou, ancien directeur de la radio Anfani et ancien conseiller en communication de Mohamed Bazoum, le président renversé par l’armée en juillet 2023 (et toujours détenu par les militaires), avait été arrêté en avril dernier, à cause d’un post sur WhatsApp datant d’août 2023 dans lequel il appelait les Nigériens à sortir dans la rue pour défendre la démocratie. Toujours en avril, Soumana Maiga, directeur de publication du quotidien L’Enquêteur, était arrêté et accusé d’atteinte à la défense nationale à la suite d’une republication d’un article du journal français Le Figaro dans lequel il était indiqué que le Niger s’était doté de matériel d’interception des communications fourni par la Russie. Quelques mois plus tard, en septembre, le journaliste de Canal 3, et correspondant de la BBC et de la Deutsche Welle, Serge Mathurin Adou, était convoqué par la police judiciaire et inculpé pour « atteinte à la sûreté de l’État » : il était accusé de complicité dans une tentative de déstabilisation qui aurait été menée depuis le Burkina Faso voisin.

La dérive du régime est inquiétante. La Direction générale de la documentation et de la sécurité extérieure est de plus en plus active pour réguler les discours et intimider les activistes, suscitant ainsi un climat d’autocensure. Dans ce contexte, la voix de Moussa Tchangari était d’autant plus écoutée que cette figure de la société civile nigérienne était l’une des rares à s’exprimer librement, n’épargnant pas les militaires au pouvoir.

L’homme peut difficilement être accusé d’inconstance. Comme beaucoup de membres de la société civile nigérienne, il milite depuis sa jeunesse, d’abord au sein de l’Union des scolaires nigériens, une organisation scolaire et estudiantine qu’il a dirigée dans les années 1980, sous les régimes militaires de Seyni Kountché (1974-1987) et d’Ali Chaibou (1987-1993). En 1991, il est l’un des membres fondateurs de l’Association nigérienne des droits de l’homme, première organisation de défense des droits humains au Niger. Cette décennie sera celle de la démocratisation.

Par la suite, Tchangari se distinguera par son militantisme contre le « bradage de la souveraineté » du Niger et pour une meilleure redistribution des ressources minières du pays, en particulier l’uranium, exploité par la multinationale française Areva (devenu Orano). Tchangari a ainsi œuvré à imposer des thèmes en vogue aujourd’hui, comme le départ des troupes étrangères du sol nigérien et une redistribution équitable des ressources naturelles, ce qui lui a valu de nombreuses arrestations, sous Ibrahim Baré Maïnassara (1996-1999) comme sous Mahamadou Issoufou (2011-2021).

Malgré les menaces, l’activiste ne s’est jamais tu. « C’est tout le pays qui est mis au pas après ce coup d’État, déplorait-il récemment. Potentiellement, tout le monde peut être arrêté et interpellé. C’est le chapitre de la démocratisation qui est fermé. Le contexte est différent, et le pouvoir militaire peut durer encore très longtemps. » Tchangari se savait en sursis ces dernières semaines. Mais dans son esprit, se taire pour éviter l’arbitraire n’était pas une option. Et ils ne sont plus beaucoup dans son cas au Niger…

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