Le 5 février 2025, le gouvernement malien de transition a introduit de nouvelles taxes sur la téléphonie. Ces mesures, visant à réduire le déficit budgétaire, surviennent dans un contexte de crise énergétique, d’inflation, accentuant les difficultés des citoyens.
Le gouvernement malien de transition a adopté de nouvelles mesures fiscales visant le secteur des télécommunications. Elles incluent une augmentation de 5 % à 7 % pour les opérateurs, une taxe de 10 % sur les recharges téléphoniques et un prélèvement de 1 % sur les retraits via mobile money.
Dans un pays déjà fragilisé par la crise énergétique et un contexte inflationniste, ces mesures suscitent des réactions contrastées. Alors que le secteur des télécoms connaît une croissance fulgurante (+117 % entre 2017 et 2022 selon l’Autorité malienne de régulation des télécommunications et des postes), ces taxes interrogent sur leur impact réel pour le peuple malien.
« Fini Orange Money, maintenant c’est cash seulement ! »
Pour certains, ces taxes représentent une charge supplémentaire dans un contexte où chaque franc compte. « 25 000 FCFA, on te retire 2 500 FCFA, c’est trop ! 2 500 FCFA, ça nourrit beaucoup de familles ici. », estime Fanta D., 25 ans. Son témoignage reflète une réalité brutale : dans un pays où le salaire minimum interprofessionnel garanti (SMIG) est de 40 000 Fcfa, ces prélèvements affecte directement le pouvoir d’achat.
Binta Diop, qui vit à l’étranger et soutient financièrement sa famille au Mali, renchérit : « J’envoie un peu d’argent à quelqu’un qui n’a pas de quoi manger, et cet argent est taxé plusieurs fois : frais de transfert, de retrait et taxe. C’est difficile, surtout pour les pauvres qui paient autant que les riches. » Elle propose que « les grandes entreprises comme Orange absorbent ces coûts », plutôt que les consommateurs.
Ahmed Barry, lui, est plus critique : « Pourquoi les ministres et les députés ne renoncent-ils pas à leurs avantages ou ne réduisent-ils pas le train de vie de l’État ? C’est toujours le peuple qui souffre. » Ce sentiment est partagé par Dramane Dramé : « Fini Orange Money, maintenant c’est cash seulement ! » Certains, comme Idrissa Traoré, envisagent même un retour aux pratiques d’antan : « Avant, on faisait des opérations de confiance. On remet l’argent à un voyageur ou aux chauffeurs pour les parents en zones rurales. »
D’autres défendent les taxes, y voyant une contribution nécessaire au développement national. Mohamed Lamine Diakité affirme : « Elles sont imposées dans l’intérêt du peuple malien. Par patriotisme, tout le monde les accepte. » Hamed Diabaté, comparant le Mali à d’autres pays comme le Burkina Faso, où de telles mesures existent depuis plus d’un an, ajoute : « Les Maliens veulent le paradis sans sacrifice. » Moussa Sanogo va plus loin : « Ces petits prélèvements ne vont pas nous faire abandonner notre pays. Pour la patrie, nous ferons plus que ça. »
Abou Danté et Samuel Sagala partagent cet « élan patriotique» : « Quand on aime son pays, on doit contribuer à son développement », dit le premier, tandis que le second se dit prêt à « faire plus » si nécessaire. Aboubakar Bagiya cite l’exemple du Burkina : « Les Burkinabè le font depuis longtemps, ça ne les a pas tués. »
Cependant, des réserves subsistent. Mohamed Ag Amedou nuance : « Si c’est un fonds de soutien, ça doit être volontaire. Si c’est systématiquement soustrait, ce n’est ni légal ni opportun. » Un autre, qui a requis l’anonymat, souligne quant à lui un problème récurrent : « L’utilisation et la gestion transparente de ces fonds restent floues, et ça alimente les rumeurs. »
Réduire le déficit
Pour Modibo Mao Makalou, économiste et ancien conseiller économique à la présidence du Mali, ces taxes s’inscrivent dans une logique budgétaire claire. « L’objectif est de réduire le déficit de 683 milliards FCFA en 2024 à 581 milliards en 2025, tout en augmentant la pression fiscale de 14,8 % à 16,2 % du PIB », explique-t-il. Avec une hausse prévue de 263 milliards FCFA des recettes fiscales, le gouvernement mise sur les télécoms, un secteur en plein essor, pour renflouer ses caisses. Toutefois, il met en garde : « Une loi fiscale doit être simple, stable et adaptée au contexte socio-économique pour garantir une redistribution équitable des revenus. »
Mohamed Aly Bathily, ancien ministre de la Justice, a soulevé dans une intervention sur Facebook ce qu’il considère comme une préoccupation : « Les impôts doivent être logés dans un compte unique au Trésor public pour en contrôler l’usage. Or, ces taxes sont versées ailleurs, ce qui est inédit depuis Modibo Keïta. » Cette opacité alimente les soupçons de détournement et fragilise la légitimité de la mesure. Comme le résume cet internaute, Serge Atingla, dans un post sur Facebook : « Le développement a un coût, mais il faut espérer que ces fonds soient investis intelligemment dans des secteurs clés. »
Le Mali n’est pas un cas isolé. En Afrique de l’Est et de l’Ouest, des taxes similaires existent. Au Kenya, le droit d’accise sur les services mobiles a doublé entre 2018 et 2021, entraînant une hausse des prix et une baisse de l’usage. En Côte d’Ivoire, une taxe de 3 % sur le Mobile Money s’ajoute à une TVA de 18 % sur les recharges. Au Ghana, une taxe de 1,5 % sur les transactions électroniques est en vigueur depuis 2022. Ces exemples montrent que la taxation des télécoms est une tendance régionale, mais ses effets à long terme restent débattus.
Ces nouvelles taxes placent les Malien.ne.s devant un dilemme : contribuer au développement national ou préserver un pouvoir d’achat déjà fragilisé. Sans une gestion exemplaire et une communication claire, le gouvernement risque d’alimenter la défiance d’un peuple déjà à bout de souffle.