Mali – Ibrahima Sangho : « Il faut un organe unique pour qu'il n'y ait plus de crises post-électorales »
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Mali – Ibrahima Sangho : « Il faut un organe unique pour qu’il n’y ait plus de crises post-électorales »

Spécialiste des questions électorales et de gouvernance, Ibrahima Sangho explique pourquoi il faut mettre en place un organe unique de gestions des élections au Mali.

Au Mali, Ibrahima Sangho, spécialiste des questions électorales et de gouvernance, est à la tête de la Synergie 22, une coalition d’organisations de la société civile composée de la Communauté des blogueurs du Mali, l’Observatoire pour les élections et la bonne gouvernance, Tuwindi, Droits humains au quotidien, l’Association des jeunes pour la citoyenneté active et la démocratie.

La Synergie 22 est très présente dans le débat sur les réformes à mener et l’organisation des élections en 2022 pour sonner la fin de la transition. Il explique à Benbere pourquoi il est important de mettre en place un organe unique de gestion des élections, qui polarise le débat politique au Mali.

ADS : Pourquoi faut-il mettre en place un organe unique de gestion des élections ?

Ibrahima Sangho : Il faut rappeler que le rapport Daba Diawara, en 2008, avait parlé d’organe unique pour éviter les crises post-électorales. Le coup d’État contre le président Ibrahim Boubacar Keïta, le 18 août, était en partie liée à la gestion des élections législatives de 2020. Dans l’histoire des élections au Mali, il y a eu des organes uniques de gestion des élections entre 1992 et 1996, c’était le ministère de l’Administration territoriale avant la mise en place d’une Commission électorale nationale indépendante (Ceni) pour les élections de 1997. C’est une crise politique qui a conduit à un forum politique, en janvier 1998, où il a été décidé de créer trois organes [MATD, DGE, Ceni) de gestion des élections.

Après le coup d’État du 18 août 2020, tous les partis politiques, les organisations de la société civile ont dit qu’il fallait aller à un organe unique de gestion des élections. Neuf mois après, rien n’a été fait. Ensuite, en janvier 2021, il y a eu un atelier organisé par l’Administration territoriale avec la classe politique et la société civile à l’issue duquel il a été décidé, à l’unanimité, de la création d’un organe unique de gestion avant le 31 mars 2021. Mais le premier gouvernement de transition [dirigé par Moctar Ouane] n’a pas suivi les orientations des partis politiques et de la société civile. Il y a eu un deuxième coup d’État en mai et puis le gouvernement installé en juin a aussitôt relancé le débat sur l’organe unique de gestion des élections. Il faut aller à l’organe unique pour qu’il n’y ait plus de crises post-électorales en République du Mali.

Comment faire pour opérationnaliser cet organe ?

A travers un consensus politique, l’organe unique va organiser tout le processus électoral en prenant les attributions du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), de la Délégation générale aux élections (DGE), de la Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Celle-ci deviendra un service informatique de l’organe unique de gestion des élections. L’organe pourra proclamer les résultats provisoires. Si la classe politique se met d’accord pour la relecture de certains articles de la Constitution, l’organe unique pourra proclamer les résultats définitifs. Et si les gens ne s’entendent pas, la Cour constitutionnelle va s’occuper des contentieux.

Le délai accordé aux autorités de transition est-il suffisant pour mettre en place cet organe ?

Le délai est très suffisant. Nous avons fait un calendrier pour dire qu’il reste neuf mois. Pendant ce mois de juillet, par exemple, on relit tous les textes relatifs aux élections avant de les envoyer au Conseil national de transition (CNT) dont les membres auront le mois d’août pour examiner tous les textes et les adopter. Ainsi mis en place en août, l’organe aura un mois pour s’installer à l’intérieur et à l’extérieur du pays. Entre septembre et octobre, on procède à la révision exceptionnelle des listes électorales. Parce qu’ il n’y a pas de listes aujourd’hui pour aller aux élections. Selon la loi, du 1er octobre au 31 décembre, il doit y avoir la révision ordinaire des listes électorales. Mais en 2020, cela n’a pas été fait parce que les administrateurs civils étaient en grève. Et si la classe politique accepte, en novembre on peut organiser le référendum. Si elle s’y oppose, en février on peut organiser les élections présidentielles couplées ou séparées avec les législatives.

Il faut relire les textes pour faire en sorte que l’élection des députés à l’Assemblée nationale ne soit plus le scrutin majoritaire à deux tours. Si on adopte le scrutin proportionnel pour l’élection des conseils communaux, on va  faire un tour unique pour élire les députés.

Comment évaluez-vous le coût pour la mise en place de cet organe ?

L’organe unique va prendre en charge les prérogatives du ministère de l’Administration territoriale et de la Décentralisation (MATD), de la Délégation générale aux élections (DGE), de l’ancienne Commission électorale nationale indépendante (Ceni). Que ce soit l’organe unique ou pas, la Ceni a un coût dans le budget. Au lieu de donner trois budgets à ces trois organes cités, Il faut créer l’organe unique et lui octroyer ces coûts pour pouvoir évoluer. Nous rappelons juste qu’en mai, quand l’Administration territoriale avait déroulé son chronogramme, il avait dit qu’il avait besoin de 97 milliards de francs CFA pour pouvoir fonctionner. Le budget est là et disponible pour nous permettre de sortir de la transition.

Le contexte d’insécurité grandissante n’est-elle pas une contrainte ?

L’insécurité est une contrainte majeure. Depuis le début de la transition, nous n’avons pas cessé d’attirer l’attention du gouvernement sur la priorisation de l’espace sécuritaire. L’insécurité n’est pas un facteur de blocage. Pour nous, il est indispensable de sortir de cette situation de transition. Pour revenir à la normalité constitutionnelle, il faut organiser les élections présidentielles, législatives tout au moins. Tant qu’il n’y a pas un nouveau gouvernement légitime, c’est-à-dire un président élu, une Assemblée nationale élue, la suspension qui est sur la tête du Mali ne va pas tomber.

Les autorités pourront-elles trancher quant à la question de l’organe unique ?

Nous pensons que nous avons aujourd’hui ce qu’on n’a pu avoir pendant trente ans. Les Maliens doivent en profiter. Le gouvernement dit qu’il veut un organe unique, c’est-à-dire qu’il ne veut pas contrôler les élections. S’il ne veut pas avoir la mainmise sur les élections et qu’un organe unique permanent est mis en place, cela nous permettra de faire les élections à temps. S’il y a des élections chaque cinq ans, il faut le faire. Il ne faut pas laisser les gens prolonger un mandat pour s’éterniser. Parce que ce sont les impôts de tous les Maliens qui les nourrissent. Tous ceux qui gouvernent au nom du peuple malien doivent avoir la légitimité et être le choix de la population. Autrement, on dévie de la démocratie. Pour le respect même de la démocratie, il faut qu’il y ait des élections à date. Cette notion de cycle électoral doit être préservée et mis en œuvre par l’organe unique de gestion des élections. C’est pourquoi tout le monde veut adhérer à l’organe unique de gestion des élections.

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