Coumba Bah : pour lutter contre les VBG, « il faut l’implication et l’engagement des hommes »
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Coumba Bah : pour lutter contre les VBG, « il faut l’implication et l’engagement des hommes »

Coumba Bah est féministe et communicante sur les droits des femmes et des jeunes filles. Elle est également animatrice et productrice d’une émission citoyenne « Musoya », qui vise à améliorer l’égalité entre hommes et femmes.  Dans cet entretien, réalisé dans le cadre des 16 jours d’activisme, elle dresse un état des lieux sans concession de la lutte contre les violences basées sur le genre (VBG) au Mali.

Benbere : Le Mali célèbre les 16 jours d’activisme contre les violences basées sur le genre. Où en est la lutte ?

Coumba Bah : Les violences basées sur le genre sont un fléau mondial. Bien que le combat continue au Mali, il y a encore du chemin à faire. Et la triste réalité, c’est que ces violences sont majoritairement commises à l’égard des femmes et des filles. Elles peuvent être physiques, émotionnelles, psychologiques, économiques et institutionnelles. Depuis 5 ans, nous avons des cas publics, bien documentés par la presse. Des meurtres d’épouses commis par leurs conjoints. Chez nous, les femmes sont lésées même dans les tribunaux. Par exemple, une femme a tué son conjoint à Sikasso et elle a pris 20 ans d’emprisonnement, pendant que l’époux qui a assassiné sa femme à Bamako, par 37 coups de couteau, s’en est sorti avec un petit 10 ans.

De plus, c’est vraiment désolant pour un pays qui a ratifié des conventions régionales et internationales, telle que la convention pour l’élimination de toutes les formes de violences à l’endroit des femmes et des filles, d’avoir une loi qui autorise le mariage d’une jeune fille à l’âge de 16 ans, et 15 ans avec l’accord des deux parents. Cet article du code des personnes et de la famille est discriminatoire et est une forme flagrante de VBG, car il estime l’homme mature à 18 ans et la femme à 16 ans. Où est l’égalité ?

Est-ce à dire qu’il n’y a pas d’acquis ?

Dans ce vaste chantier de la lutte contre les VBG, il y a eu plusieurs acquis. Le premier, pour moi, c’est le fait de briser le silence. Nous constatons de plus en plus de victimes qui dénoncent les VBG qu’elles subissent. Ensuite, le fait que le sujet ne soit plus tabou, car les VBG ne sont plus du simple ressort des féministes ou des spécialistes. Même les citoyens lambda en parlent. Nous assistons également à l’implication de plus en plus de jeunes, plus précisément celle des jeunes hommes, dans la lutte. Et pour finir, même si les lois ne sont pas appliquées, notre pays a ratifié et adhéré à plusieurs conventions dans la lutte contre les VBG. Et l’avant-projet de loi qui est en gestation dans notre pays est une avancée énorme quant à la volonté de réduire les VBG.

Quel est l’impact de la Covid-19 sur les VBG au Mali ?   

Pour le moment, nous ne pouvons pas parler d’impact, mais plutôt d’effet. Nous savons que les femmes subissent les effets immédiats de la pandémie. Déjà que par nature la femme est très vulnérable. L’un des effets de la Covid-19, c’est la déscolarisation des jeunes filles. La fermeture des classes pour cause de Covid-19 a favorisé le décrochage scolaire de certaines filles, surtout en milieu rural, qui ont été envoyées en exode ou données en mariage. Le couvre-feu, la perte d’emploi, une situation économique en baisse provoqués par la Covid-19 sont des facteurs d’anxiété et de stress qui échauffent les esprits, favorisant ainsi les violences conjugales.

Que faire pour enrayer les VBG au Mali ?

Il ne faut pas se leurrer, nous n’allons jamais en finir avec les VBG dans le monde, nous ne pouvons que les minimiser. La France, les États-Unis, l’Afrique du Sud sont des pays qui ont des lois et ont avancé sur la problématique. Mais ces pays sont ceux qui ont les taux les plus élevés de féminicide et de violences à l’endroit des femmes et des jeunes filles. Il ne saurait y avoir de processus fini, mais plutôt continu de sensibilisation et d’autonomisation des femmes. Pour parvenir à minimiser les VBG au Mali, il faut nécessairement l’implication et l’engament de nos hommes, qui doivent mener la bataille et nous comptons sur eux, parce que le Mali est une société patriarcale. Et ce système met la femme sous la tutelle de l’homme durant son existence. Enfant, elle est sous l’autorité du père, puis celui du mari pour le reste de sa vie.

Qu’est-ce qui bloque l’adoption d’une loi anti-VBG ?

Depuis 3 ans, un avant-projet de loi est en gestation. Mais il n’a jamais été mis sur une table de Conseil des ministres. Si certaines dénoncent un manque de volonté politique, personnellement je pense que le blocage est dû au contenu de la loi, car elle fait référence à des manifestations de VBG, à savoir l’excision et le viol conjugal qui ne sont pas encore compris par bon nombre de citoyens. Et aucun politique ne prendra le risque d’être porteur d’une loi contenant ce que je viens d’évoquer. Pour le moment, je préconise le retrait de l’excision et du viol conjugal pour faire passer la loi. Et de les faire voter dès qu’ils seront compris par tous. Il faut être stratège, aller petit à petit et ne pas viser le tout au risque de tout rater.

Pour conclure, je demande à celles qui nous lisent de briser le silence. Je demande aussi à l’entourage des victimes d’être attentif. Il ne faut jamais attendre de perdre quelqu’un pour agir. Appelez le 80333 qui est un numéro vert donnant accès à la police, à la gendarmerie, aux soins et bientôt à des opportunités de réhabilitation.

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