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IBK : le discours d’un éléphant au pied cassé

A l’annonce de l’adresse à la nation du Président Ibrahim Boubacar Keita, le 16 avril 2019, l’espoir était grand pour bon nombre de Maliens. Fatouma Harber, elle, ne cache pas sa déception.

Le 16 avril 2019, je me suis retrouvée à guetter le discours du Président Ibrahim Boubacar Keïta sur l’ORTM comme s’il s’agissait d’un classico FC Barcelone contre Real de Madrid. La férue de foot que je suis suivais avec intérêt le match retour de son équipe, FC Barcelone, contre Manchester United en quart-finale de la ligue des champions. J’étais plutôt de bonne humeur, car mon équipe était bien partie pour l’emporter avec un score confortable à quelques minutes de la fin du match. Quand la fameuse adresse à la nation a débuté sur la télé de IBK l’ORTM.

 

 

Le vieux était bien maquillé, bien cadré et je l’ai suivi sans faire de live sur les réseaux sociaux (Facebook ou sur Twitter), comme j’en avais l’habitude. Car cette fois-ci, le pays est dans une situation bien délicate sur le plan socio-politique : le bras de fer entre le gouvernement et les syndicats d’enseignants, l’insécurité généralisée dans le Nord et dans le Centre, la quasi impossibilité de pratiquer les pistes menant aux villes de Gao et Tombouctou pour les civils, ou encore la prise en charge des déplacés du Centre, qui continuent à fuir les exactions et les milices d’auto-défense qui sévissent encore: IBK se devait d’apporter des réponses précises à un pays en souffrance.

Basin bleu, bon éclairage studio et un français fortement soutenu. A croire qu’IBK ne s’adressait à des citoyens à 70% analphabètes. Au contraire, il arborait de nouveau sa posture de monarque, qui se met à la place de ses sujets : « Je sais que depuis des semaines, la nation attend ma parole qu’elle a jugée rare, en raison des péripéties que nous vivons », a-t-il d’ailleurs avoué, s’accordant le titre de « serviteur privilégié ».

Un fleuve de mots

Je m’attendais à un discours conciliateur, qui allait lancer un appel à la nation avec des propositions concrètes pour nous permettre enfin d’entrevoir le bout du tunnel sur plusieurs plans. Mais, nous nous sommes retrouvés face à un fleuve de mots qui dépassait notre entendement. Des mots avec une évocation de la grogne sociale et de ses entrevues avec les seuls qu’il est enclin à écouter : les leaders religieux et les chefs traditionnels.

J’ai enfin compris que IBK en voudra jusqu’à la fin aux jeunes, qui ont donné une si grande ampleur à la grogne qui a mis en échec sa première tentative de  révision constitutionnelle. Il pense que la jeunesse malienne est « souvent en perdition » et qu’il faut l’aider à « sortir des chemins de pensées archaïques, des mimétismes politiciens stériles, des impasses des responsabilités malencontreusement assumées ou revendiquées ». Il ne restait plus qu’à nous qualifier de drogués, nous les jeunes, comme l’a fait le député RPM (parti présidentiel) Moussa Timbiné, premier vice-président de l’Assemblée nationale qui plus est. Il est loin du compte et ne s’en rend même pas compte.

La jeunesse malienne est assez engagée, IBK devrait revoir sa copie au risque d’être surpris, encore une fois. Nous attendons qu’il nous annonce qu’il changera son fusil d’épaule, tout comme il vient de changer de Premier ministre. A ce propos, mes adieux à ce gouvernement que je trouve personnellement inutile !

J’espérais un sursaut de lucidité chez IBK et bien malheureusement, j’ai été déçue. IBK est décidé à nous servir du IBK jusqu’à la fin.

Insécurité chronique

De Tombouctou, après les remous que nous avions connus entre communautés à Goundam, je m’attendais à l’annonce d’escortes militaires pour les véhicules de transport des civils qui sont les victimes des bandits armés. Mais, je me suis bien trompée : le vieux n’a fait qu’effleurer l’insécurité, chronique partout dans le pays, avant d’annoncer un fonds d’urgence pour les déplacés du Centre.

Il parle d’acquis fragiles enregistrés depuis 2015. L’habitante de Tombouctou que je suis est bien surprise, car je n’ai remarqué aucun acquis sur le plan sécuritaire. Au contraire, la situation s’est dégradée. Maintenant, tu peux te faire descendre dans ton salon ou dans la rue par une personne qui peut disparaître dans une ruelle, dans une ville aussi militarisée avec la présence d’autant de casques bleus, de militaires maliens, d’anciens rebelles. Le nombre de braquages est incalculable entre Tombouctou et Mopti et le nombre de morts ne semble intéresser personne.

Concertation nationale express

Où a-t-on jamais vu ça ? IBK a annoncé la tenue d’une concertation nationale (reportée à une date ultérieure après la démission du Premier ministre) en une semaine. Il y a un risque qu’elle soit aussi bâclée que la Conférence d’entente nationale. L’opposition va certainement décliner. Comme à son habitude, IBK est pris dans un monologue de dictateur face à ses sujets. A croire que deux années auront suffi pour lui faire oublier le rejet massif et populaire du projet de révision de la Constitution.

Je m’étais également convaincue qu’il allait mettre de l’argent à la disponibilité de sa cohorte d’agents qui font la sale besogne pour lui avec le blason de la société civile. Ils feront comme ils ont fait leur Conférence d’entente nationale, avec pour seul souci de sauver la face devant la communauté internationale et la Minusma qui, elle, met une grande pression pour qu’il réalise cette révision constitutionnelle.

Pourtant, Kidal échappe plus que jamais au Mali, malgré la présence d’un gouverneur. Les soldats maliens continuent à mourir tous les jours. La grève des enseignants continue et nous nous approchons dangereusement de la fin de l’année scolaire. Les populations sont de plus en plus convaincues de l’abandon de l’État. Je pensais qu’on lui avait trop jeté la pierre. Mais, il est venu me convaincre du contraire. L’éléphant annoncé est arrivé avec un pied cassé. Malheureusement.

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